La littérature offre de nombreux exemples de personnages poussés à des conduites extrêmes pour obtenir la satisfaction de leur désir. Ainsi Molière dans l'Ecole des femmes mettra en scène Arnolphe, un vieux noble qui, pour être sur d'épouser une femme parfaitement sotte - la femme selon lui idéale -, a choisi, dés l'enfance, une jeune paysanne, et l'a fait élever hors de sa famille, se créant ainsi « une femme au grés de [ses] souhaits ».
Molière pose donc ici le problème de la possession, et de la déshumanisation d'autrui par le désir. Dés lors, le désir amoureux est-il forcement désir d'appropriation de l'autre ? Faut-il assimiler le désir de l'autre à l'amour, ou l'envisager séparément du sentiment amoureux ? Désirer autrui, n'est-ce pas plutôt reconnaître son humanité ? Dans cette optique, n'est-ce pas plus le désirant qui, en faisant don de lui, risque d'aliéner sa propre liberté ? Enfin, peut-on envisager un désir qui, parvenu à pleine maturité, serait capable d'envisage l'autre partiellement en tant qu'objet mais sans jamais perdre de vue qu'il est un sujet libre auquel le respect est dû ? En ce sens, un désir partager peut-il s'envisager comme un don réciproque d'une partie de nous-même ?
Le problème sera ici de savoir si en désirant autrui, l'individu n'envisage l'autre qu'exclusivement en tant qu'objet de désir.
[...] Il n'y a donc, dans un désir réciproque, aucune relation de domination entre les amants. Il apparaît donc qu'une aspiration à posséder l'autre n'est pas anormale en soi dans la dynamique du désir amoureux, mais il faut que cette envie de s'approprier autrui puisse s'appliquer de façon égalitaire entre les deux amants et reste modérée. Rousseau conclut ainsi qu'à travers ce don réciproque de soi à l'autre on gagne l'équivalent de tout ce que l'on perd, et plus de force pour conserver ce que l'on a Désirer autrui, c'est l'envisager comme un moyen de combler un manque. [...]
[...] Ce don ne doit pas être perçu comme une aliénation de nous, puisqu'il va dans les deux sens : je donne un peu de moi, un peu de ma liberté à l'autre, mais je reçois un peu de la sienne en retour. Dès lors, ce don est plus une preuve de confiance et de reconnaissance de la conscience de l'autre qu'une menace pour sa liberté. Rousseau théorise ce concept du don réciproque d'une partie de sa liberté dans le premier livre du Contrat Social. [...]
[...] C'est ce que Ferdinand Alquié, dans Le désir d'éternité, appelle l'« amour passion Selon lui, cet amour a pour but d'assimiler autrui et non de se donner à lui ; il est infantile, possessif, et cruel, analogue à l'amour éprouvé pour la nourriture que l'on dévore et que l'on détruit en l'incorporant à soi-même On retrouvera la même idée dans les Pensées de Pascal sous le nom d'« amour de concupiscence Cet amour détermine un désir égoïste qui enfonce et maintient le Moi dans sa tendance propre qui n'est d'aimer que lui. Ce désir exprime l'amour en tant qu'il a un encrage sexuel. Il amène l'individu à consommer autrui. [...]
[...] En effet, un travail de ma raison sur mon désir peut me permettre d'appréhender autrui à la fois comme un objet de jouissance charnelle et comme une personne à qui je dois le respect. Il apparaît ainsi que désirer autrui ne m'amènera que difficilement à attenter à sa liberté, puisqu'en le désirant j'aspire à un don réciproque basé sur la reconnaissance de l'autre en tant qu'individu, et donc y compris sur la reconnaissance de sa liberté. On peut même considérer que le désir parvenu à maturité est celui qui est à même de distinguer ces deux dimensions de la personne humaine, que sont à la fois le corps et l'esprit. [...]
[...] Dès lors, autrui est relégué au rang d'objet, une simple chose sans conscience. À travers un désir purement matérialiste l'individu n'appréhende autrui que comme simple objet de satisfaction : il n'y a reconnaissance ni de l'altérité, ni de la liberté d'autrui. Cette aspiration à aliéner la liberté de l'autre, à le consommer, existe donc grâce au désir sexuel que sous-entend en partie le désir amoureux. Nietzsche dans le Gai savoir va même plus loin en disant que l'amour sexuel se révèle de la façon la plus claire comme un désir de possession. [...]
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