Je puis comme Descartes lui-même, remettre tout en doute pour éprouver la vérité de mes jugements : ainsi, autrui et le monde n'ont peut-être pas plus de réalité que les fantaisies qui peuplent mes songes. Mais, au moment même où je doute de tout, je comprends que moi, qui pense et qui doute, suis nécessairement quelque chose. Tel est bien le sens du cogito cartésien : je puis prendre seul conscience de moi-même, sans qu'il soit besoin pour cela qu'autrui existe (...)
[...] Seulement, il faut garder mesure en toute chose : un homme juste aidera davantage sa communauté en vivant et en la guidant de ses conseils, qu'en se sacrifiant inutilement. Si la partie que je suis vaut mieux que le tout qui m'abrite, pourquoi la sacrifier? Il serait alors tentant de faire de l'égoïsme une conduite rationnelle; mais c'est là un excès dont il faut pareillement se méfier. Ne rapporter tout qu'à soi, c'est se priver de toute amitié, et de toute vertu : c'est en effet un devoir moral que de s'occuper de l'intérêt général et du service d'autrui. [...]
[...] Descartes invite effectivement à un calcul d'intérêt : ainsi, le sacrifice de mes intérêts particuliers n'est légitime que si la communauté à laquelle je les sacrifie en vaut la peine. On peut songer ici à Aristote : il existe dans chaque cité un homme vertueux et prudent, qui fait le bien non en se sacrifiant, mais en donnant des conseils et en guidant la communauté. On peut également penser à la Genèse : dix justes suffiraient à sauver Sodome, cité de tous les péchés, de la colère de Dieu. [...]
[...] Cependant la thèse de Descartes fait intervenir des considérations morales qui ne sont pas réductibles à un quelconque utilitarisme : la vertu me commande d'honorer mon serment et de tenir mes promesses, elle m'ordonne aussi de me soucier du bien des autres. Il y comme l'a montré Rousseau, une tension dans toute communauté lui apporte, sans pour autant consentir à lui apporter quoi que ce soit, bref chacun veut jouir" des droits du citoyen sans vouloir remplir les devoirs du sujet". [...]
[...] Descartes, Lettre à Elisabeth : individu et communauté Commentaire d'un extrait de Lettre à Elisabeth, de Descartes, montrant que nous n'existons pas sans les autres. Texte étudié Il y a une vérité dont la connaissance me semble fort utile : qui est que, bien que chacun de nous soi une personne séparée des autres, et dont, par conséquent, les intérêts sont en quelque façon distincts de ceux du reste du monde, on doit toutefois penser qu'on ne saurait subsister seul, et qu'on est en effet, l'une des parties de l'univers, et plus particulièrement encore l'une de ces parties de la terre, l'une des parties de cet Etat, de cette société, de cette famille, à laquelle on est joint par sa demeure, par son serment par sa naissance. [...]
[...] Faudra-t-il alors, pour être vertueux, se sacrifier sur l'autel du bien commun? Non pas: d'une part, en servant le tout c'est aussi moi que je sers; et d'autre part; si le tout vaut moins que moi, rien alors ne m'oblige à m'y sacrifier. Tout est question de mesure et de tempérance: celui qui mettrait son intérêt particulier en péril pour rien serait fou, et non sage; mais celui qui ferait passer ce même intérêt avant tout autre considération, et mènerait sa vie sans jamais se soucier des autres, serait un égoïste avide privé de toute amitié comme de toute vertu. [...]
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