La découverte est-elle de l’ordre d’une méthode ?

Résumé du document

Il y a une légende dorée de la science, qui fait remonter celle-ci à un supposé « miracle grec », au cours duquel, autour du V ème siècle av JC, divers penseurs auraient inauguré la démonstration pure (Euclide), l'abstraction mathématique comme telle (Pythagore), le projet d'une science du mouvement (Aristote)… Comme toute légende, celle-ci embellit une réalité mais possède néanmoins un fond de vrai, que le philosophe autrichien Karl Popper a bien dégagé : l'exigence scientifique , que tous ces savants grecs mettent en œuvre pour parvenir à une découverte, se caractérise par la rupture de la raison avec le mythe (logos/mythos), c'est-à-dire précisément, par l'exigence de critiquer le savoir reçu sur le monde et d'en proposer un autre, par principe soumis à la critique ultérieure - à la différence des mythes, qui sont toujours transmis avec variantes. La raison n'est pas tant un trait de chacune des thèses avancées que leur immersion générale dans un mouvement de critique, laquelle se fonde toujours soit sur des constats d'expérience soit sur le relevé d'insuffisances logiques dans les thèses. Cette raison serait à l'origine de la découverte, si on entend par découverte l'acte ou le processus par lequel un savoir est construit.
Néanmoins faut-il considérer ce processus menant à la découverte comme libre création de l'esprit ou rigueur démonstrative s'appuyant sur une méthode qui lui est appropriée ? On peut avancer que sans aucune méthode, la découverte risque de devenir pure invention d'une théorie scientifique, voire erreur possible d'un esprit se représentant les choses sans aucune règle sinon les siennes ; mais en soumettant le processus de la découverte à la méthode l'on risque de tomber dans l'illusion répondant à un désir de rationalité : trouver dans le monde unité, permanence et universalité alors que le monde serait un chaos. Finalement, le problème posé est celui du rapport entre science et réalité : la vérité scientifique est elle une découverte, par l'esprit de ce qui est, ou bien une construction purement théorique de ce qui peut être n'est pas ?
Ainsi, nous verrons d'abord qu'il est possible de construire une logique et une méthode pour la découverte. Puis nous relativiserons le rôle de la méthode en montrant qu'elle ne constitue qu'un outil, la découverte dépendant également d'autres facteurs déterminants comme le génie de l'auteur ou le contexte scientifique dans lequel elle est élaborée. Enfin, nous verrons que la méthode peut jouer un rôle essentiel lorsqu'il s'agit d'exposer les résultats lors du processus de justification (distingué par Popper de celui de la découverte), et nous analyserons les règles et préceptes qui permettent au savant d'avancer dans la découverte.

Extraits

[...] La théorie explicative doit nous apprendre quelque chose de plus que nous savons. En effet, les théories sont des filets destinés à capturer ce que nous appelons le monde à le rendre rationnel, l'expliquer et le maîtriser Chez Popper la procédure qui sert à tester une théorie, à savoir la méthode déductive de contrôle, a la même structure logique que celle de l'explication. Finalement, expliquer c'est tester. Ainsi la méthode de vérification permet d'évaluer une éventuelle supériorité d'une théorie sur une autre qu'on peut exprimer en termes de proximité à la vérité ou vérisimilitude La valeur d'une théorie dépend en effet de la richesse de son contenu : une théorie riche, même si elle court beaucoup de risques d'être réfutée, peut même dans son échec nous fournir encore des informations. [...]

[...] Nous obtenons alors un principe. Tel est ce de quoi doit s'inspirer l'esprit systématique pour découvrir une vérité, afin de ne jamais tomber dans l'esprit de système. Finalement, la démonstration méthodique consiste à exposer la méthode générale selon laquelle à l'aide d'un principe relevant d'une science on a combiné ce principe avec le principe général. La découverte est réussie lorsque a été réduit les questions particulières (comme le mouvement des fluides) à des lois générales d'une science générale (comme l'hydrostatique). [...]

[...] D'autre part, la découverte est déterminée par le contexte scientifique. L'environnement culturel et social du chercheur le poussent à perfectionner ses instruments, à inventer de nouvelles théories, à prospecter plus loin encore son champ d'investigation pour mettre en évidence des phénomènes qui jusqu'alors passaient inaperçus. Les données sensibles que nous percevons ne sont jamais neutres et dépendent d'une attitude intellectuelle préalable. On peut citer à titre d'exemple l'expérience des poids de Helmholtz : si deux sphères de même poids dont l'une est plus grosse que l'autre (la plus petite étant plus dense que la plus grande) et qu'on en met une dans chaque main d'une personne, celle-ci trouvera la plus petite la plus lourde. [...]

[...] Or cette immédiateté, loin d'être donnée, est conquise par un long travail du sujet (doute méthodique et attention). Quant à la déduction, elle représente le mouvement de l'esprit, allant d'intuition en intuition, de telle sorte que les termes extrêmes de la série se trouvent unis par un lien nécessaire. Ainsi, les objets révélateurs de vérité doivent être ordonnés et bien disposés ; ce qui est le plus absolu doit être soigneusement repéré. Il faut pourtant remarquer que la méthode ne se confond pas avec les connaissances qu'elle permet d'acquérir, ni avec les moyens qui sont mobilisés pour l'exercer, à savoir les facultés cognitives. [...]

[...] Popper établit ainsi les règles qui guident le savant lorsqu'il est engagé dans une découverte. Sa logique de la découverte diffère de toute psychologie de l'invention. En effet, l'originalité de l'approche poppérienne consiste dans l'élimination du psychologisme. La certitude est éliminée : l'homme de science ne croit pas mais décide en fonction de critères rationnels après avoir comparé les théories en compétition, examiné leurs conséquences et les avoir testées intersubjectivement. Popper formule ainsi des normes objectives d'appréciation de la connaissance. [...]