Il est évident que nous connaissons mieux le vivant que tous les hommes qui nous ont précédés : nos répartitions en genres et en espèces se fondent sur des critères objectifs (le matériel génétique), et non sur de simples communautés de formes externes ; nous comprenons de mieux en mieux le fonctionnement des organismes et leur mécanique interne ; et par la conjugaison d'une théorie (la sélection naturelle) et d'une explication (la génétique), nous avons enfin élucidé le mystère de l'adaptation du vivant à son milieu.
Cela ne signifie pas, bien évidemment, que notre compréhension du phénomène de la vie soit totale et qu'il ne reste à la biologie aucune zone d'ombre à dissiper ; mais enfin, cela permet d'affirmer qu'il n'y a strictement aucun sens à se demander si une connaissance scientifique du vivant est possible. Si la question ne se pose pas, c'est qu'elle reçoit d'emblée sa réponse : à l'évidence, une connaissance scientifique du vivant est possible, puisqu'elle est actuellement mieux que possible, c'est-à-dire réelle, et même de plus en plus exacte dans ses explications, si tant est que la biologie progresse depuis près de deux siècles à un rythme soutenu.
[...] Tout être vivant à tendance à fuir des conditions défavorables, et à choisir le milieu qui sera le plus favorable à sa survie, de sorte que le milieu n'est jamais reconductible à une portion d'espace ou d'étendue. Tel est le sens de la thèse de Von Uexkull, grand biologiste du siècle dernier : chaque être vivant a son milieu propre qu'il se choisit lui-même. Or ce qui caractérise le scientifique, c'est qu'il doit être objectif, c'est-à-dire aussi que son regard est nécessairement objectivant. En voulant considérer un vivant en et pour lui- même, la connaissance scientifique l'isole nécessairement de son milieu subjectif. [...]
[...] Or, ajoute Kant, la finalité devant le spectacle de la vie est une impression nécessaire : je ne peux pas m'empêcher d'avoir l'impression que l'œil est fait pour voir, et que la vie est en vue d'elle-même (tout organe est fait pour prolonger la vie de l'organisme). Mais cette impression est également subjective : elle est ressentie par le sujet et n'est pas une caractéristique objective du vivant. Si je peux à bon droit dire que le stylo est fait pour écrire, c'est parce qu'il a été produit pour accomplir une telle fonction. [...]
[...] La biologie mécanise le vivant à mesure qu'elle le connaît 1. L'attitude naturelle face à la vie : la thèse vitaliste Si nous comparons, comme le faisait Kant dans La Critique de la faculté de juger, un être vivant et une montre, les différences nous sembleront indépassables : les pièces de la montre ont bien une fonction, mais elles subsistent hors de la montre ; la montre elle-même a une finalité (indiquer l'heure), mais elle ne se remonte pas toute seule ni ne se répare d'elle-même si je la fais tomber. [...]
[...] De là s'ensuit la contradiction qui habite la biologie : si l'homme s'est intéressé au phénomène de la vie, c'est parce qu'il était émerveillé par l'impression de finalité que celui-ci lui donnait à ressentir ; et plus il progresse sur la voie de la connaissance, plus il voit que cette finalité elle-même n'était qu'une impression subjective sans fondement objectif. La biologie comme science objective 2. La biologie comme science objective La biologie ne connaît donc du vivant que ce que la connaissance en général peut en saisir : comme le remarquait Bergson, l'intelligence procède toujours par analyse et décomposition en éléments de plus en plus simples. [...]
[...] Une connaissance scientifique du vivant est-elle possible ? Longtemps les sciences naturelles se sont contentées de décrire la diversité des formes de vie : telle était la tâche de celui qu'on nommait le naturaliste. Mais faire un relevé empirique, si précis et exhaustif soit-il, ce n'est pas encore connaître : la biologie est née quand on ne s'est plus satisfait d'établir des listes de caractéristiques, mais qu'on a voulu en rendre raison, et expliquer ce qu'on ne faisait auparavant que constater. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture