"Le bon historien", affirme Fontenelle dans sa Lettre sur les occupations de l'Académie, "n'est d'aucun temps ni d'aucun pays". Une telle exigence de neutralité ou d'objectivité absolue paraît aux historiens contemporains totalement irréaliste, parce qu'elle méconnaît les conditions d'élaboration de ce que peut et doit être la connaissance historique.
Comment un fait, une fois établi, ce qui implique recherche et motivations, s'intégrerait-il par sa propre évidence dans un récit ? La constitution de ce dernier obéit à un questionnement spécifique, et à une hypothèse de travail. L'interprétation n'est-elle pas ainsi présente du début à la fin, de l'élaboration du fait de sa mise en perspective, de la connaissance historique? Mais cela suffit-il pour faire de l'histoire une science à part ?
[...] Selon quelles valeurs? Il n'y a pas de fait "atomique", il n'y a qu'un enchevêtrement de facteurs. De plus, tout fait retenu implique un jugement de valeur. L'historien est condamné à choisir parmi les facteurs possibles. C'est en ce sens que "tout jugement de fait est un jugement de valeur". Le 14 juillet 1789 fut une journée particulièrement chaude: des boissons furent amplement consommées. Voilà un fait. Le rappeler, c'est faire intervenir un jugement de valeur (on osa parce qu'on avait bu). [...]
[...] Dans un premier temps, la signification ne se manifeste que par l'interprétation. Isolé, un fait historique n'a aucune signification. On peut simplement en affirmer qu'il a eu lieu. La signification implique que soient mises en lumière des relations entre les faits. Or, ces relations sont nécessairement "inventées" par l'historien: ceux qui ont vécu l'événement n'en avaient ni connaissance ni conscience. L'interprétation réside dans les liaisons établies par l'historien entre des événements qui, lors de leur apparition, n'étaient pas liés entre eux. [...]
[...] La connaissance historique est-elle une interprétation du passé? "Le bon historien", affirme Fontenelle dans sa Lettre sur les occupations de l'Académie, "n'est d'aucun temps ni d'aucun pays". Une telle exigence de neutralité ou d'objectivité absolue paraît aux historiens contemporains totalement irréaliste, parce qu'elle méconnaît les conditions d'élaboration de ce que peut et doit être la connaissance historique. Comment un fait, une fois établi, ce qui implique recherche et motivations, s'intégrerait-il par sa propre évidence dans un récit? La constitution de ce dernier obéit à un questionnement spécifique, et à une hypothèse de travail. [...]
[...] Ou connaissance gratuite?). Mais aussi que les systèmes d'interprétation peuvent diverger: les historiens classiques n'accordent pas d'intérêt particulier aux phénomènes économiques, alors que pour les historiens marxistes, ils sont au contraire déterminants. Il peut ainsi exister plusieurs interprétations du même événement, successives ou en concurrence. Que devient alors la vérité? La réalité humaine peut-elle être univoque? Si un récit historique pouvait être reconnu comme définitif, cela signifierait que la réalité humaine qu'il étudie a livré sa signification complète. Mais toute action humaine est elle-même riche de plusieurs significations: celle que lui donne éventuellement l'argent (qui ne sait pas toujours lucidement ce qu'il fait, ni pourquoi), celle que lui attribue l'observateur contemporain, celles que découvrent des observateurs ultérieurs, etc. [...]
[...] Gaston Bachelard a souligné combien les théories classiques sont prégnantes dans la conscience moyenne (attachée à l'espace euclidien, elle admet difficilement l'existence d'autres espaces géométriques). Ce "retard" ne se produit-il pas aussi à propos de la connaissance historique? Ses interprétations les plus traditionnelles (les grands hommes, l'histoire des conflits) paraissent toujours séduire davantage le public que les plus récentes. Souligner que la connaissance historique est une interprétation, comme s'il s'agissait d'un défaut, n'est-ce pas implicitement regretter qu'on n'y rencontre pas de vérité définitive? C'est alors à une conception fausse de la vérité scientifique en général que cela renvoie. [...]
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