Giorgio Agamben, dans son essai intitulé Qu'est ce que le contemporain ? montre que tout se passe comme si « cette invisible lumière qu'est l'obscurité du présent projetait son ombre sur le passé tandis que celui-ci, frappé par ce faisceau d'ombre, acquérait la capacité de répondre aux ténèbres du moment ». Le présent semble donc entretenir une relation contrastée avec le passé, chacun n'étant compréhensible qu'à la lumière de l'autre.
Le présent est en effet, selon une conception classique du temps, en linéarité directe avec le passé, auquel il succède mécaniquement. Cela ne le rend pas pour autant aisément saisissable, comme en témoigne Hegel dans Phénoménologie de l'Esprit : « Le maintenant est justement ceci de n'être déjà plus quand il est ». Le présent est donc un temps instantané, sinon un temps inexistant. A l'inverse, la conception augustinienne du temps étend le présent au passé et à l'avenir, montrant qu'il existe « trois temps, un présent au sujet du passé, un présent au sujet du présent, un présent au sujet de l'avenir ». En effet, le passé n'existe dans le présent que par le processus de mémoire et n'est palpable que par le souvenir, d'une madeleine chez Proust, ou de l'enfance chez St Augustin. L'avenir, lui, n'existe dans le temps présent que sous la forme d'une attente, d'une anticipation. Paul Ricœur retient une conception identique du présent dans Temps et Récit : « Nous mesurons le passé comme mémoire et le futur comme attente. Nous racontons et nous prédisons. Et ceci dans le présent. Les choses ne sont que comme présentes ». Il semble donc qu'il existe deux conceptions irréconciliables du présent : soit le présent n'est pas, soit il est tout.
[...] L'homme moderne est donc aussi celui qui se souvient et qui peut regretter le passé, quitte à rejeter le présent. Le moderne, c'est aussi celui à qui le passé pèse. Chateaubriand, dans ses Mémoires d'outre-tombe (1848) est ainsi atteint par la même mélancolie romantique face au soleil couchant sur Venise. Ce soleil qui se couche, c'est la civilisation qui disparaît : Que ne puis-je m'enfermer dans cette ville . Venise est là, assise sur le rivage de la mer, comme une belle femme qui va s'éteindre avec le jour : le vent du soir soulève ses cheveux embaumés ; elle meurt saluée par toutes les grâces et tous les sourires de la nature S'extraire parfaitement du passé n'est donc pas une position soutenable pour l'individu, ni même possible. [...]
[...] D'où la nécessité de la prescription mise en avant par Paul Ricœur dans La mémoire, L'histoire et l'oubli : la prescription est de droit, parce qu'une société ne peut pas être en colère contre elle-même La réconciliation de la société après des évènements traumatiques peut ainsi justifier l'adoption de lois d'amnistie, comme en 403 av. J.-C. à Athènes, pour oublier la terreur des Trente. Vivre dans le passé empêche l'apparition de la nouveauté dans le temps présent. Ainsi, les Anciens souhaitaient faire perdurer les modèles antiques et utiliser la langue latine pour les inscriptions de Versailles. Molière lui-même fut victime du poids de la tradition, avec L'Ecole des femmes, comédie en un seul acte et en prose qui choqua profondément ses contemporains, tout comme l'Hernani de Victor Hugo près de deux siècles plus tard. [...]
[...] Le présent est en effet, selon une conception classique du temps, en linéarité directe avec le passé, auquel il succède mécaniquement. Cela ne le rend pas pour autant aisément saisissable, comme en témoigne Hegel dans Phénoménologie de l'Esprit : Le maintenant est justement ceci de n'être déjà plus quand il est Le présent est donc un temps instantané, sinon un temps inexistant. A l'inverse, la conception augustinienne du temps étend le présent au passé et à l'avenir, montrant qu'il existe trois temps, un présent au sujet du passé, un présent au sujet du présent, un présent au sujet de l'avenir En effet, le passé n'existe dans le présent que par le processus de mémoire et n'est palpable que par le souvenir, d'une madeleine chez Proust, ou de l'enfance chez St Augustin. [...]
[...] Ainsi, comme le montre André Malraux dans Le musée imaginaire, si l'Athéna de Phidias n'est pas d'abord une statue, mais bien un chef d'œuvre, c'est sous le regard des Modernes qu'elle a acquis cette qualité. [...]
[...] La sortie de la religion a engendré l'effondrement d'autres valeurs liées à elle. L'individu moderne, sans attache, parfaitement insoumis, entre alors dans l'ère du vide, comme le montre Gilles Lipovetsky dans son essai. Depuis les années 1960, l'Etat recule, la famille et la religion se privatisent, le droit consacre l'autonomie des individus, tandis que les sciences et techniques leur donnent la maîtrise de leur corps et de leur sexualité. Cette seconde modernité est caractérisée par le présentisme qui donne naissance à une idéologie du cool L'homme moderne n'est certes plus inféodé au passé, à la tradition, aux croyances ancestrales ou aux valeurs traditionnelles, mais il s'est enfermé dans une obligation d'hyper investissement dans la sphère privée qui enlève tout sens à son existence. [...]
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