On ne trouvera guère de philosophe qui n'ait tenté de répondre à la question: qu'est-ce que le temps? Et il est rare qu'un philosophe ne témoigne pas de la complexité de ce problème. On connaît les paroles célèbres d'Augustin sur l'étonnante nature du temps:
«Qu'est-ce en effet que le temps? si personne ne me le demande, je le sais; mais si on me le demande et que je veuille l'expliquer, je ne le sais plus» (XI, 14J) .
Entre l'intuition immédiate du temps et l'expression conceptuelle de cette intuition, il y a une barrière difficile à franchir et Augustin n'a pas été le seul à s'étonner des paradoxes auxquels se heurte la conscience humaine quand elle veut atteindre une intelligence conceptuelle de cette réalité, si difficile à saisir, qu'est le temps. Et cependant, la pensée humaine cherche infatigablement à découvrir la nature du temps. Kant, Fichte, Husserl, Bergson, Dilthey, Heidegger, voilà les philosophes pour qui le problème du temps était un des problèmes centraux. Dans l'antiquité ce sont Aristote, Plotin et, au début de l'époque chrétienne, Augustin qui ont prêté le plus d'attention à ce problème. Ce sont des philosophes très différents, mais unis par une tradition commune vis-à-vis de laquelle ils définissent justement leur position, positive ou négative. Cette tradition elle-même prend sa source chez Platon.
[...] Le raisonnement d'Augustin est facile à comprendre: si, pour Plotin, pour qui le temps est la vie de l'âme du monde, la mesure du temps c'est toujours, comme chez ses prédécesseurs, la rotation du ciel, car le ciel le cosmos est le corps de l'âme du monde, Augustin, lui, qui n'admet pas l'existence d'une âme cosmique, doit trouver une mesure du temps et le moyen de la mesurer dans l'âme humaine elle-même. Comment s'effectue selon Augustin la mensuration du temps? [...]
[...] Pourtant, il suit Platon en liant le temps au nombre, car, selon Platon, temps parcourt un cercle selon les lois du nombre». Et autre ressemblance très importante: Aristote, comme son maître Platon, considère le temps en rapport avec la vie du cosmos; tout en repoussant toute «éternité» extra-cosmique, intelligible, il lie pourtant le temps précisément au mouvement physique et la mesure du temps, au transport du firmament. Fait caractéristique, après avoir renoncé à définir le temps au moyen de l'éternité, Aristote ne fait plus appel aux expressions dont se servait Platon. [...]
[...] Plus se prolonge cette opération, plus l'attente est abrégée et plus la mémoire s'accroît jusqu'au moment où l'attente est complètement épuisée, l'acte étant terminé et passé tout entier dans la mémoire» 28J28)[17] (17). Selon Augustin, la condition qui rend possible le temps est la structure de notre âme dans laquelle: s'accomplit trois actes; l'esprit attend, il est attentif et il se souvient. L'objet de son attente passe par son attention et se change en souvenir. Qui donc ose nier que le futur ne soit pas encore? Cependant l'attente du futur est déjà dans l'esprit. Et qui conteste que le passé ne soit plus? Pourtant, le souvenir du passé est encore dans l'esprit. [...]
[...] Par conséquent, pour Aristote, le temps, comme le mouvement, est une grandeur. Une grandeur doit être mesurée, ce pour quoi il faut trouver une mesure. Voilà pourquoi le temps s'associe précisément à la mensuration, la mensuration du mouvement, du changement, mais aussi du repos. Et il est possible, souligne Aristote, de mesurer aussi bien la grandeur du mouvement à l'aide du temps que celle du temps à l'aide du mouvement: «Nous mesurons non seulement le mouvement par le temps, mais aussi le temps par le mouvement; parce qu'ils se déterminent réciproquement; car le temps détermine le mouvement dont il est nombre, et le mouvement, le temps» (Phys. [...]
[...] Cherchant à saisir l'essence du temps en partant de sa corrélation avec l'éternité, Plotin revient, d'un côté, à Platon. Mais, de l'autre, en liant le temps à l'âme mondiale, il va plus loin que ce que Platon a exprimé directement, bien que l'intention même de Platon ne contredise sans doute pas cette construction plotinienne. Werner Beierwaltes, grand connaisseur du néo-platonisme, estime, il est vrai, que l'idée de lier le temps à la vie de l'âme appartient à Plotin lui-même, lequel s'écarterait donc de la conception platonicienne du temps. [...]
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