Si le chapitre XXVI, intitulé « de l'institution des enfants », s'ouvre sur la dédicace à Madame Diane de Foix, comtesse de Gurson, c'est que cette dernière attend son premier enfant au moment où Montaigne écrit cet essai. Saisissant l'occasion de cette naissance à venir, Montaigne se charge d'exposer à la future mère sa conception sur l'instruction des enfants. Bien entendu, celle-ci sera faite en fonction du rang social de ce dernier, à savoir, un aristocrate, qui se destine à prendre la charge de gouverneur. N'oublions pas de préciser que Montaigne ne fait pas mention de l'éducation des filles car il va de soit que le développement didactique qui va suivre s'adresse à l'instruction des garçons. En effet, en s'attachant plus particulièrement à la structure, on peut observer la manière dont Montaigne profite de l'occasion pour exposer, tel un pédagogue, sa conception du programme éducatif. Bien plus qu'« une seule fantaisie », Montaigne nous livre dans un développement argumenté sa position sur la question.
Mais cette présentation des méthodes d'instruction d'un parfait petit humaniste ne peut-elle pas retracer de manière sous-jacente l'écriture des Essais ? Montaigne ne nous désignerait-il pas, par figuration, l'élaboration de son oeuvre ? Ainsi, dans quelle mesure peut-on avancer que cet extrait offre deux niveaux de lectures possibles ? D'une part il nous invite à observer de quelle manière Montaigne endosse le rôle d'un pédagogue en se mettant en scène dans son écriture. Mais il nous amène également à voir comment son œuvre devient elle-même l'élève la plus initiée à son programme éducatif.
[...] Ainsi l'épisode de l'honnête homme de Pise que Montaigne rajoute au développement de son argument sur l'assujettissement de l'esprit aux codes éducatifs de l'époque, peut s'expliquer par les rencontres que Montaigne a pu faire lors de son voyage en Italie, d'où : Je veis priveement à Pise un honneste homme Il fait alors profiter ses premières notes de la richesse des expériences qu'il a pu faire par la suite. Loin de contredire sa première pensée, elles viennent au contraire l'étoffer, la rendre plus pertinente. Refusant l'immobilisme, Montaigne cultive son texte. Il l'examine à la lumière de son expérience, de ses voyages qui lui tiennent donc lieu d' estamine Exploiter. A ce troisième et dernier principe du programme éducatif de Montaigne correspond la strate C de l'écriture des Essais. En effet, à mesure que sa pensée évolue, l'auteur complète ses chapitres. [...]
[...] Il donne matière à son esprit qu'il cherche à stimuler. Son but était d'occuper son esprit et de le discipliner pour le rendre plus attentif à ses lectures. Aussi peut-on opérer un parallèle entre le premier précepte à suivre pour l'élève, qui est d'aller à la rencontre de la connaissance, et la méthode de travail de Montaigne qui a cherché à aiguiser son esprit à la lumière des livres. Il ne s'est pas limité à une simple mémorisation de ce que d'autres avant lui avaient pu pensé ; il les a étudiés. [...]
[...] Progressivement, Montaigne a su enrichir son œuvre d'une réflexion plus personnelle illustrée par les livres et non plus nourrie d'eux. C'est vers quoi une bonne formation doit faire tendre l'élève. Son œuvre fonctionne ainsi comme un faire-valoir. Tel un pédagogue, Montaigne nous livre dans un développement argumentatif sa véritable conception d'un programme éducatif adapté à l'enfant ; programme dont l'œuvre témoigne de l'efficacité et de la richesse. Il serait réducteur de comparer Montaigne à un sage dispensant un enseignement dogmatique. [...]
[...] Il nous rend alors témoin de la maturation de son esprit. En effet, dénonçant l'immobilisme de certains de ses contemporains qui s'enferment dans des certitudes définitives comme en témoigne la citation qui suit : Il n'y a que les fols certains et résolus Montaigne prouve, par l'écriture même de son texte, que la sagesse, but suprême de la formation de l'esprit, ne peut être atteinte que par une politique d'ouverture et de lente maturation. La phrase qui clôt alors l'extrait fonctionne alors comme une sorte de maxime chargée de toute la sagesse de Montaigne acquise au fils du temps. [...]
[...] Du reste, il le signale lui-même dans un ajout de la strate C : ce n'est non plus selon Platon que selon moy, puis que luy et moy l'entendons et veoyons de mesme Selon Montaigne, la vérité une fois saisie appartient plus à celui qui la transmet qu'à celui qui l'a formulée. Dès lors quel intérêt à connaître l'identité de l'auteur puisque la substantifique moelle en est conservée ? Tirant profit de la pensée d'autrui, il enrichit son propre raisonnement. L'apport que constitue la référence aux anciens dans cet extrait en est la preuve même. Son exposé fait œuvre d'une réflexion mûrie à la lumière de la pensée d'auteurs plus anciens et reconnus. Enfin, Montaigne recourt à la modalité jussive pour imprimer à son exposé un caractère réglementé et officiel. [...]
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