En réponse aux dernières phrases du chapitre 25, qui marquent l'origine de l'homme en Dieu : « comme notre être vient de Dieu, la vérité de notre science vient de son enseignement, et la vérité de notre bonheur, de l'intime effusion de son amour », la réflexion du chapitre 26 semble mettre entre parenthèse l'origine divine de la créature que nous sommes, la certitude de l'être découverte ici n'engageant a priori pas Dieu qui n'est cité que dans la première phrase. Dans cette entreprise de compréhension de l'oracle delphique, Saint Augustin paraît seul, Dieu n'intervient pas, et toutefois il est présent dans tout le texte. Ce chapitre de la Cité de Dieu recherche une vérité qui nous soit accessible, sans l'aide apparente de Dieu, quoique cette vérité soit le chemin vers Dieu, comme l'écrit Etienne Gilson :
« S'il a repris inlassablement, et sous tant de formules diverses, la même ascension de l'homme vers Dieu par la vérité, n'est-ce pas précisément qu'Augustin voyait dans la vérité la seule permanence immuable dont on puisse déceler la présence dans la mutabilité de l'homme ? Il n'y a rien dans l'homme dont on puisse dire : cela est, sinon la vérité même. Mais si, en nous, elle « est », n'est-elle pas, à sa manière, Dieu avec nous ? »
Il s'agit donc pour Saint Augustin, dans la solitude d'une introspection simulant l'absence de Dieu, dans la sécheresse d'une démonstration ne mobilisant pas la croyance en son existence, de trouver en l'homme « une image de la Trinité Souveraine » ; c'est pourquoi deux termes du triplet, l'être et la connaissance de l'être, semble être ici privilégiés, l'amour motivant la mise en mouvement de l'esprit vers sa connaissance.
La découverte en l'homme d'une trinité analogue à celle de Dieu est donc bien l'objet du texte, ainsi s'ouvre le chapitre : « une image de Dieu est en nous, que nous reconnaissons, une image de la Trinité Souveraine », pour cela, Saint Augustin cherche une vérité qui soit accessible à l'homme, une certitude qui soit la trace du royaume de l'immuable dans sa condition changeante. Mais avant tout, avant la promesse d'une possible béatitude, il s'agit de faire de l'esprit, s'il peut se connaître en vérité, quelque chose d'immatériel, qui échappe au changement permanent de la matière. Ce texte participe donc à la polémique avec les Matérialistes et les Sceptiques (les « académiciens » cités) et fait appel au platonisme et au néo-platonisme, en particulier pour l'idée de l'éternité et de la stabilité de la vérité. Par ailleurs, la certitude découverte ici est celle d'un esprit qui (se) pense et peut se tromper, en sorte qu'on parle communément de cogito augustinien, bien qu'il ait fallu attendre Etienne Gilson pour que soit définitivement reconnu à Augustin une telle découverte. Il nous faudra donc mettre en perspective les approches cartésiennes et augustiennes de la certitude d'être, et les conséquences tirées par chacun des deux auteurs, d'autant plus que le refus par Descartes de reconnaître l'importance de ce chapitre vient notamment de ce qu'il considérait que l'évêque d'Hippone n'en avait pas tiré toutes les conséquences nécessaires. C'est donc sous une triple perspective, l'influence du néo-platonisme, la polémique avec Sceptiques et Matérialistes, et le dialogue avec la philosophie moderne (Descartes, Husserl en particulier) qu'il nous faut considérer cette remarquable réflexion cherchant à montrer l'indissociable vérité de l'être, de la connaissance et de l'amour humains qui viennent et sont à l'image de Dieu.
[...] On peut donc dégager quatre régions d'intériorité croissante : Le corporel, l'intus, l'interior et Dieu, enfin, interior intimo meo A l'opposition précédente corporel intus, Augustin en ajoute une, il découvre en quelque sorte l'intériorité, lieu d'une identité trine accessible immédiatement, et si la certitude de l'esprit est une image, elle ne l'est que pour Dieu, plus intérieur, vision divine qui porterait sur la vision intellectuelle un jugement analogue à celui que cette dernière porte sur la vision spirituelle. Qu'en est-il au juste de Dieu, qui paraît au premier abord étrangement absent de ce chapitre ? La certitude de notre être n'est en effet pas une question de foi, mais de connaissance claire, certaine et complète car l'esprit est entièrement et toujours présent à lui-même ; elle s'acquiert dans la solitude (elle est l'objet d'un soliloque). [...]
[...] Dans cette entreprise de compréhension de l'oracle delphique, Saint Augustin paraît seul, Dieu n'intervient pas, et toutefois il est présent dans tout le texte. Ce chapitre de la Cité de Dieu recherche une vérité qui nous soit accessible, sans l'aide apparente de Dieu, quoique cette vérité soit le chemin vers Dieu, comme l'écrit Etienne Gilson : S'il a repris inlassablement, et sous tant de formules diverses, la même ascension de l'homme vers Dieu par la vérité, n'est-ce pas précisément qu'Augustin voyait dans la vérité la seule permanence immuable dont on puisse déceler la présence dans la mutabilité de l'homme ? [...]
[...] p.46 De lib. arb., I Emmanuel Bermon, op. cit. p. 105-106 Ibid., p.144 De Trinitate, X Ennéades, I In Joan. Evangelium, tract. XXXIX, cap art cité par Gilson dans Saint Augustin, Philosophie et Incarnation, op. [...]
[...] Sans prétendre effacer les différences qui séparent les pensées d'Augustin et de Descartes quant à la découverte de Dieu, on trouve chez Augustin une telle figure paradoxale de la relation de l'esprit avec Dieu. L'esprit qui commence par se connaître lui-même, et qui trouve Dieu au-dessus de ce qu'il y a de plus élevé en lui-même, découvre qu'il ne pourrait pas se connaître lui-même si Dieu ne lui était pas plus intérieur que lui- même. Dieu est donc toujours présent, en même temps qu' infiniment distant de nous, et seul un amour infini peut transcender cette infinie distance. [...]
[...] Plus intérieur, et plus intime, Dieu accompagne toujours, même quand il paraît absent : Se pose alors la question de l'ordonnancement de la Vérité et de la connaissance de soi, dont on a vu qu'elle était première. L'esprit est présent à lui-même, telle est la connaissance évidente, immédiate ; mais Dieu n'est-il pas plus présent ? Il semble donc qu'Augustin découvre avant Descartes, même s'il exprime cette idée en d'autres termes que lui, que la certitude de soi est, à la limite, une notion contradictoire. Ce que Descartes exprime en termes d'antériorité dans la Méditation troisième, Augustin l'exprime en termes d'intériorité. [...]
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