Dès l'antiquité grecque, le théâtre met en scène des héros, demi-dieux à la « mesure de l'humain » selon De Romilly, qui ont une existence exceptionnelle, plus précisément une véritable destinée soumise au poids écrasant de la fatalité divine. Ainsi, dans son Orestie, Eschyle rapporte la malédiction des Atrides et le châtiment d'Agamemnon condamné à sacrifier sa fille Iphigénie: il « choisit » alors la mort d'une existence et indirectement la sienne puisqu'il est assassiné par son épouse vengeresse Clytemnestre. De même, dans Œdipe-roi de Sophocle, Œdipe accomplit son destin sans l'avoir pour autant choisi puisqu'il réalise la prophétie de l'oracle en tuant son père Laïos et en épousant sa mère Jocaste. C'est en quelque sorte Laïos qui choisit le destin de sa famille car il a offensé les dieux en violant les lois de l'hospitalité.
Par conséquent, une contradiction manifeste entre les notions de choix et de destin d'emblée incompatibles dénote un paradoxe évident: alors que le choix relève de la catégorie de la volonté humaine et appelle la pensée à réfléchir pour effectuer une action assumée, le destin marque la fatalité immuable extérieure voire providentielle et assigne à l'homme une destinée déterminée. Si après avoir réfléchi et jugé, je choisis provisoirement un mode de vie que j'améliore dans une dynamique infinie, alors je décide réellement de mon existence et donne du sens à ma vie que j'assume et accomplis parfaitement. Si par contre, quelque chose comme la mère Nature ou bien quelqu'un comme Dieu décide pour moi de ma destinée, alors je suis misérablement réduit à l'état de pion telle une pierre spinoziste qui se meut ou bien pour reprendre la métaphore des stoïciens, un organe dans un organisme qui réalise des fonctions certes vitales mais imposées par le cerveau obéissant lui-même à l'instinct de survie Eros, inhérent à l'étant.
Le problème posé est donc celui de la liberté de choisir sa vie alors qu'elle est soumise à de multiples déterminismes. Comment donner du sens à mon existence si ma vie est une destinée? Dans quelle mesure puis-je choisir comment vivre? Tout simplement, vaut-il mieux être un héros avec une existence exceptionnelle mais qui m'est soumise par la fatalité du Cosmos ou bien un médian avec une existence médiocre mais que je me suis librement donnée? Car le problème réside dans ma capacité a priori de choisir mon existence librement et a posteriori d'accomplir une vie digne de vie, c'est-à-dire d'un héros mythique ou plutôt d'un humain à la mesure de l'homme.
[...] Je suis moi- même, honnête envers moi-même et connais avec humilité et lucidité mes limites, et choisis tout simplement de vivre une vie à la mesure de ma médiocrité. On peut par conséquent dépasser la soumission pure et simple au déterminisme en essayant de se connaître et de choisir modestement une vie en acte possible qu'on essaye d'accomplir. On peut dans tous les cas choisir un destin même si on ne parvient pas à l'accomplir tout à fait ou même pas du tout. [...]
[...] J'ai choisi un autre destin, celui de témoigner, de devenir historien qui tel un Hérodote lutte contre l'oubli et contre mon oubli. J'ai choisi un autre destin, celui de découvrir, de devenir chercheur qui tel un Einstein lutte contre l'ignorance et contre mon ignorance. J'ai choisi un autre destin, celui de s'approcher de la beauté en soi, de devenir artiste qui tel un Picasso parvient au chef-d'œuvre et c'est son chef-d'œuvre. J'ai choisi encore un autre destin, celui de rechercher la vérité, de devenir philosophe qui tel un Platon délivre des étudiants enfermés dans une caverne. [...]
[...] C'est en quelque sorte Laïos qui choisit le destin de sa famille car il a offensé les dieux en violant les lois de l'hospitalité. Par conséquent, une contradiction manifeste entre les notions de choix et de destin d'emblée incompatibles dénote un paradoxe évident: alors que le choix relève de la catégorie de la volonté humaine et appelle la pensée à réfléchir pour effectuer une action assumée, le destin marque la fatalité immuable extérieure voire providentielle et assigne à l'homme une destinée déterminée. [...]
[...] Cette marmite d'affects, inhibés par la censure des interdits sociaux parentaux et moraux du surmoi, pousse au refoulement du désir, qui cherche à revenir à la conscience sous formes d'ersatz déguisés en actes manqués, et provoque des complexes latents. Dans cette perspective, comment l'homme pourrait-il choisir sa vie et donc a fortiori un destin? Mais, l'homme ne saurait se résumer à un animal déterminé. Sa condition intermédiaire de roseau pensant pour reprendre une très célèbre formule de Pascal dans ses Pensées, est due à la conscience qui fait à la fois sa misère et sa fortune. [...]
[...] Car en fait, n'était-ce pas moi destin que de choisir ce destin ou même un destin? L'homme se donne pour mission et pour rêve l'épanouissement de soi: c'est son destin dans la mesure où il est homme. Celui qui ne choisit pas n destin ne vit pas en homme, voire finit par ne plus vivre. Toutefois, il ne faut pas négliger le hasard: Napoléon aurait-il été empereur d'Europe par destin? Etait-il dit, comme dans un conte merveilleux ou dans la Bible, que sur l'île de Beauté naîtrait un jour un certain Bonaparte qui vivrait un destin particulier? [...]
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