A l'image du Marquis de Sade au XVIIIe siècle, les écrivains contemporains s'adonnent au vice littéraire. Aujourd'hui, évoquer des ébats charnels dans un livre est devenu banal, tandis que Sade, à son époque, était réellement persécuté. Mais Sade pour sa part dans ses livres n'a fait que raconter la débauche. La question qui se pose alors, est de savoir si la littérature en tant que telle peut être une perversité en elle-même, notamment à partir du moment où elle est lue.
C'est en ce sens que Valéry Larbaud, auteur français dont les principaux textes ont été rassemblés à la Pléiade, donne comme titre à un de ses ouvrages « Ce vice impuni, la lecture», et se présente ainsi manifestement, non seulement comme un auteur, mais aussi comme un lecteur éclairé.
On entend généralement par vice, un penchant ou un défaut excessif, devenu habitude, que la morale religieuse ou sociale réprouve. Dès lors, le titre de l'ouvrage acquiert un statut oxymorique, puisque par définition le vice est condamné, ne serait-ce que par la morale. La lecture est ici désignée comme vice, or à l'aube du XXIe siècle, la lecture n'est pas condamnée, mais même favorisée et institutionnalisée, dans le cadre scolaire, mais aussi dans les librairies ou les bibliothèques. Le vice en lui-même est déjà paradoxal, puisqu'en tant que défaut, il doit être évité, mais en tant qu'interdit et qu'engendrant une accoutumance, il attire. Autrement dit, le vice, entendu comme créant une dépendance, attire sans cesse le sujet, mais le vice, entendu comme dangereux, repousse le sujet.
[...] La gourmandise, dans le parfum exotique : Une île paresseuse où la nature donne / Des arbres singuliers et des fruits savoureux Ou encore l'orgueil dans le vin du solitaire : - Et l'orgueil, ce trésor de toute gueuserie, / Qui nous rend triomphants et semblables aux Dieux ! On peut trouver le même aspect chez Des Esseintes, le personnage de Huysmans, dans A rebours, en tant que celui-ci pratique l'érudition. Lire est un donc vice qui peut tenir lieu de tous les autres, c'est une débauche. Mais lire drogue également au sens de l'intoxication. Par la lecture, le sujet lisant risque de se dévergonder, de se corrompre. [...]
[...] C'est particulièrement le cas en ce qui concerne les écrits de Sade. Ils opèrent un renversement de toutes les règles morales traditionnelles : la calomnie, le vol, le meurtre et les pires débauches de cruauté y sont loués comme étant à la fois conformes à la nature et propres à former un peuple respecté de ses ennemis. Aucun geste meurtrier ne peut être condamné : la mort, dont le meurtre n'est que la provocation anticipée, est dans l'ordre du monde, elle fait partie de l'économie vitale : La destruction étant l'une des premières lois de la nature rien de ce qui détruit ne saurait être un crime. [...]
[...] Si le théâtre a pour essence la représentation, il n'empêche que dans sa lecture aussi, le sujet apprend. Dans la tragédie, les personnages sont présentés de telle manière à être ni tout à fait bons, ni tout à fait méchants, et ils inspirent selon les moments antipathie et terreur, ou sympathie et compassion. En ressentant ces passions au théâtre ou en lisant du théâtre, voire un roman ou un poème, le lecteur doit s'en purger pour ne plus vouloir les ressentir dans la réalité. [...]
[...] Ainsi, la lecture est un vice dangereux en tant qu'il aliène et pervertit le lecteur. Mais elle est aussi aventureuse en tant que le lecteur est susceptible de se faire prendre au jeu de l'illusion, et de s'identifier à un personnage du roman, ou de prendre le monde virtuel, fictif, pour le monde réel. C'est ce que montre Flaubert dans Madame Bovary : Pendant six mois, à quinze ans, Emma se graissa donc les mains à cette poussière des vieux cabinets de lecture. [...]
[...] Mais à force de lire, l'envie d'écrire se fait ressentir. Et le vice s'étend. L'homme est le seul animal à boire sans soif. De même, il est le seul à se créer un monde de mots d'artifices. Dans une lettre à George Sand, Flaubert écrit ainsi : Se griser avec de l'encre vaut mieux que se griser avec de l'eau-de-vie. BALZAC, Jean-Louis (1822), in Premiers Romans, Paris, Robert Laffont, Bouquins - David BAGULEY, Balzac, Zola, et la paternité du naturalisme in Balzac. [...]
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