Supposons que je veuille étayer la thèse Z au moyen d'une argumentation classique du type « Z est vrai, puisque même X dit que Z est vrai ». Si j'avais à choisir entre ces trois possibilités :
(1) Z est vrai, puisque même le bouffon X dit que Z est vrai ;
(2) Z est vrai, puisque même le chercheur X dit que Z est vrai ;
(3) Z est vrai, puisque même le prix Nobel X dit que Z est vrai.
Pour laquelle irai-je opter ? Pour la (3) bien sûr ! D'instinct, je mettrai en avant pour conforter mes propos l'argument : Z est vrai, puisque même le prix Nobel X dit que Z est vrai. De préférence à (2), et, cela va de soi, sans commune mesure de préférence à (1). Comme s'il se dégageait du mot prix Nobel une force ayant la capacité de décupler la crédibilité de mes propos. Comme si une énergie, indépendante du plan de la signification, était enfouie dans la structure profonde de ce terme. Energie dont je n'hésite pas à faire usage pour amplifier l'adhésion à Z.
Or cette force, d'où le mot prix Nobel la tient-il ? Sinon dans le fait qu'un prix Nobel occupe chez nous une position inégalée. Si la parole d'un bouffon vaut moins que celle d'un chercheur et bien moins que celle d'un prix Nobel, n'est-ce pas en raison d'une disparité sur l'axe vertical haut/bas de notre échelle sociale ? Tout, ici, semble procéder d'une règle simple : plus c'est haut, plus c'est fort, plus c'est persuasif.
[...] Grâce aux effets prophylactiques d'un tel texte, toute contamination du dehors, toute réforme, semblent donc, ici, sans espoir, inimaginable ; le fruit d'un faiseur de songes d'un séducteur, d'un apostat qui mérite la mort. C'était sans compter avec les forces du changement. Forces qui, comme la vie, trouvent toujours un chemin. Et ce chemin, c'est Saint Paul (ou les auteurs qui ont écrit sous son couvert) qui le trouvera. Il va (ou ils vont) tout simplement mettre au point un système de croyances qui puisse tout à la fois : 1. [...]
[...] Le mot Dieu en tant que frein majeur au changement Il suffit d'adopter un point de vue pragmatique, autrement dit, il suffit de prendre en compte les effets du langage pour augurer qu'une société dont les moindres gestes sont régis par la parole divine ne pourra se réformer autrement que par l'anathème, le glaive et le feu. En effet, lorsque j'énonce Dieu a dit Z je laisse nécessairement entendre : Que Z est divin. Que Z est vrai. Que Z sera éternellement vrai, puisque Dieu est éternel. Comment s'étonner alors qu'un simple humain n'ait, dans un groupe régenté par aucune chance de faire entendre sa différence ? [...]
[...] Ce que le mot dieu peut faire Une analyse pragmatique de l'énoncé Dieu a dit Z (Texte paru dans la revue Médium sous le titre Plaidoyer pour Dieu silencieux On en est venu à penser qu'un grand nombre d'énonciations [utterances] qui ressemblent à des affirmations, ne sont pas du tout destinées à rapporter ou à communiquer quelque information pure et simple sur les faits ; ou encore ne le sont que partiellement. Les propositions éthiques par exemple, pourraient avoir pour but _ unique ou non _ de manifester une émotion, ou de prescrire un mode de conduite, ou d'influencer le comportement de quelque façon. [ . ] Négliger ces possibilités _ comme il est arrivé le plus souvent dans le passé c'est céder à ce que l'on appelle l'illusion descriptive J. L. Austin, Quand dire, c'est faire, Paris, Seuil rééd pp. 38-39. [...]
[...] Quiconque dit : Papa, maman, je vous quitte parce que vous m'êtes devenus insupportables ! s'en va comme un malpropre. Mais qui dit : Papa, maman, je vous quitte au nom d'une cause qui me dépasse : Dieu part la tête haute. Voilà comment, me semble-t-il, en prescrivant la haine des siens _ au nom de Dieu (et plus généralement au nom d'une grande cause) _ à un individu qui ressent déjà une aversion farouche pour les siens, le gourou, quel que soit son vernis idéologique, réussit le tour de force extraordinaire que ce soit l'adepte en personne qui finalement procure la lessive qui ira lui laver le cerveau. [...]
[...] Si je vis selon la parole de Dieu, je risque de me figer comme la pierre. Mais si je vis sans Dieu, je risque de partir en fumée. Que faire ? Et si la solution à ce dilemme passait, comme le fait remarquer Hans Jonas dans son magnifique petit livre, Le Concept de Dieu après Auschwitz, par l'abandon pur et simple de l'image antique d'un Dieu parlant et tout- puissant ? Je propose, écrit Jonas, [ ] l'idée d'un Dieu qui pour un temps _ le temps que dure le processus continué du monde _ s'est dépouillé de tout pouvoir d'immixtion dans le cours physique des choses de ce monde ; d'un Dieu qui donc répond au choc des événements mondains contre son être propre, non pas d'une main forte et d'un bras tendu [ ] mais en poursuivant son but inaccompli avec un mutisme pénétrant Le Dieu de Jonas est une sorte de monarque constitutionnel. [...]
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