Le 20 août 1857, six poèmes du Charles Baudelaire furent condamnés pour « outrage aux bonnes mœurs », par le tribunal correctionnel de la Seine. La peine a été de 300 francs d'amende ainsi que la suspension des poèmes. D'emblée la notion de bonnes mœurs est perçue aujourd'hui comme rétrograde, car elle a longtemps été l'instrument d'une morale bourgeoise de la convenance sociale comme l'illustre la condamnation de Baudelaire.
L'expression « bonnes mœurs » est un terme juridique, et une expression du vocabulaire courant. Au départ, dans la Rome antique, les « boni mores » déterminaient le rang attribué au citoyen romain dans la cité, sans aucune distinction entre vie privée et vie publique. Il est donc curieux que cette notion niant toute séparation entre le privé et le public ait été transmise dans le code civil après la révolution française. En réalité il faut faire la distinction entre la conception de liberté des Anciens, pour qui liberté était la liberté de participer à la vie collective ; et la conception des Modernes, qui est un espace laissé au citoyen par l'Etat.
Les bonnes mœurs, dans le cadre juridique, visent à protéger l'équilibre de la société en déterminant ce qui est socialement admissible ou pas. Elles constituent un repère qui évite les transgressions, et suppose une certaine uniformité des mœurs. Seulement, on a de moins en moins recours à cette notion de bonnes mœurs dans la société contemporaine, tout jugement moral étant perçu comme une atteint à la liberté individuelle. On parle même d'une libération des mœurs, à partir des années 1970 (avec notamment les évènements de mai 68).
On peut donc se demander, à l'heure des premiers mariages homosexuels (non légaux), si cette notion de bonnes mœurs, a priori contraignante pour l'individu, a encore sa place dans notre contexte contemporain. Autrement dit, cette perdition de la référence aux bonnes mœurs, au moins dans le contexte juridique, signifie-t-elle un vide de norme morale, ou est-ce plutôt l'émergence de nouvelles valeurs ?
Il faut d'abord s'intéresser à la place de plus en plus marginale des bonnes mœurs dans notre société, pour ensuite s'interroger sur l'émergence d'une nouvelle morale.
[...] Mais ce déclin des bonnes mœurs laisse-t-il un vide ? En réalité elles sont remplacées par d'autres valeurs : la morale est de moins en moins fédératrice, mais en revanche la dignité est une notion qui semble de plus en plus faire la loi. Il y a une ambiguïté de la moralité publique : le citoyen se prétend affranchi de toute norme de comportement général mais en même temps l'absence de norme se révèle angoissante : la notion de bonnes mœurs est aujourd'hui remplacée par le concept juridique de dignité de la personne humaine. [...]
[...] Alors que les bonnes mœurs renvoient à une norme morale, la dignité renvoie elle à un référent individuel. Ce remplacement des bonnes mœurs par la notion de dignité révèle une mutation profonde du système juridique. Selon Bénédicte Lavaud-Legendre la notion de bonnes mœurs donnait une force coercitive à des valeurs morales communes qui n'ont pas été remplacées en tant que telles. Mais d'autres droits dans le domaine familial notamment contrebalancent la perte de valeur contraignante de la moralité publique, par une disparition de la famille comme entité sociale uniforme. [...]
[...] Il est parfois non conforme aux bonnes mœurs mais le critère légitime est celui du bonheur individuel. Bénédicte Lavaud-Legendre parle même d'une dictature d'un objectivisme scientifique : quand il est question de mœurs, on appelle de suite des psychiatres, des sociologues . au lieu de débattre sur la question morale. Au-delà du bonheur individuel, on recherche toujours l'égalité, ce qui concurrence parfois la notion même de bonnes mœurs. Soit on uniformise en niant les différences (même traitement pour tous), ou bien on pratique la discrimination positive, avec la mise en place de quotas. [...]
[...] La définition de la notion est variable. Il existe trois conceptions différentes des bonnes mœurs : la conception positiviste des bonnes mœurs les définit comme des habitudes de vie définies par la loi positive et visant le bien. La conception idéaliste les considère comme un idéal moral d'une éthique chrétienne transcendantale. Enfin la sociologique les définit comme les mœurs de la majorité de la population. Au sens large, les bonnes mœurs sont les bonnes habitudes de vie, les règles de politesse, d'hygiène, d'alimentation . [...]
[...] Cela peut signifier que l'individu même n'est plus capable de juger que qui est bon ou pas. Mais si le citoyen s'interdit de juger lui-même et préfère s'en remettre à la justice, cela permet d'éviter aussi certaines violences. La notion de bonnes mœurs n'est donc plus effective dans notre société, les valeurs morales collectives étant remplacées par la notion de liberté individuelle. Aujourd'hui, les comportements ne sont plus jugés en fonction de leur respect ou non des bonnes mœurs mais en fonction du respect de la dignité de la personne humaine, et de son égalité. [...]
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