« Et quand il tient son bonheur, il le broie. ». Ces vers d'Aragon nous renvoient à l'implacable condition de l'homme, courant après un bonheur inaccessible, qu'il saisit intuitivement sans savoir le définir. Et pourtant, naît dans notre société de consommation une véritable « philosophie du bonheur », où chacun recherche son épanouissement personnel (...)
[...] Et pourtant, le bonheur est peut- être avant tout de l'ordre du partage. Ainsi, l'homme étant un animal politique le bonheur pourrait être considéré comme un problème de gestion de la société. En effet, atteindre le bonheur semble impossible si l'Etat ne garantit pas certaines libertés. C'est ce que démontre l'expérience des camps de concentration, où l'asservissement total imposé par le système du lager détruisait toute possibilité d'individualisation, d'accomplissement de l'individu, d'épanouissement personnel. Dans 1984, Georges Orwell s'attache à décrire une société où l'aliénation engendrée par un pouvoir abusif empêche toute forme de bonheur, celui-ci impliquant conscience et liberté. [...]
[...] Par ailleurs, le bonheur est à la source du désir. En effet, il ne peut être compris comme absolu, mais comme une dynamique entre plénitude et manque nous invitant toujours à avancer, à nous extérioriser. Un homme totalement comblé n'est pas un homme heureux ; Oscar Wilde l'avait fait remarquer : Il y a deux tragédies dans la vie : la première, c'est de ne pas avoir ce que l'on désire, la seconde, c'est de l'obtenir. Ainsi, si le bonheur est fait d'attentes, il pousse à s'extérioriser, à aller vers l'autre. [...]
[...] En répondant au désir de l'autre plutôt qu'en lui imposant ma vision du bonheur, je me détache de mes propres attentes et crée donc ma liberté, mon bonheur. Celui-ci est partage et déborde largement la sphère privée. Enfin, dans un sens plus large, je ne peux crée mon bonheur indifféremment de celui des autres. Ayant conscience d'appartenir à l'humanité, je suis, comme l'affirmait Lévinas, pleinement responsable de l'autre. Aux lendemains de l'indifférence massive face à l'horreur de la Shoah, nous ne pouvons plus concevoir le bonheur comme une affaire strictement privée et notre responsabilité à l'égard de celui de l'autre doit être pleinement assumée. [...]
[...] Le bonheur, en tant qu'accomplissement de notre être, est une affaire strictement privée. Par ailleurs, il semblerait que nous devenions heureux par la réalisation de projets et de ce que nous sommes. C'est ce que tend à exprimer Jacques Brel par cette phrase : Le malheur, c'est la différence entre le rêve et la réalité Il faut combler cette différence. La réalisation du bonheur est alors de l'ordre du privé, elle correspond à l'accomplissement de nos désirs les plus profonds. [...]
[...] Si ton quotidien est pauvre, ne l'accuse pas. Accuse-toi toi-même de ne pas être assez poète. Si par cette phrase, Rilke insiste une fois de plus sur notre responsabilité dans la quête du bonheur, celle-ci ne doit- elle pas pourtant intégrer l'autre pour s'accomplir ? Ainsi, quelle serait la valeur de mon bonheur s'il n'était pas reconnu par l'autre ? Autrui fait partie intégrante de ma vie et je désire plus que tout sa reconnaissance. C'est ce que montre Hegel en explicitant la lutte des consciences de soi : pour être pleinement homme je dois être reconnu en tant que tel par l'autre. [...]
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