« Qu'est ce qui est réel? Comment le définir? Si tu parles de ce que tu peux sentir, goûter et voir, alors la réalité est simplement faite de signaux électriques interprétés par ton cerveau. » Morpheus, Matrix
« C'est là une vérité intuitive : quand je dis qu'un objet existe, je dis que je le sens, que je le vois, ou qu'il est perçu par un autre esprit » Berkeley
Matrix est un film de science fiction des frères Wachowski sorti en 1999. S'il s'est immédiatement imposé au rang de chef d'œuvre pour une large majorité de personnes, c'est sûrement au départ grâce à l'ingéniosité de sa technique (mise en scène spectaculaire, effets spéciaux inédits, esthétique léchée,…) Mais si le succès a persisté, si Matrix a hanté les esprits de beaucoup de spectateurs, c'est sans doute grâce au statut de « film d'action intellectuel » que voulaient lui donner ses réalisateurs, grâce à la multitude d'idées et de références d'inspiration mythologiques, religieuses, philosophiques, métaphysiques,… issues de thèses ou d'auteurs illustres, même si elles ont été amenées plus ou moins adroitement. Une des traditions de pensée dont Matrix s'inspire de façon assumée est l'idéalisme, et plus précisément l'antimatérialisme de Berkeley. Il est difficile de nier le caractère idéaliste du film ; examinons alors quelles propositions métaphysiques sur la conception du monde il offre et les problèmes philosophiques que ces conceptions posent.
[...] »(Principes de la Connaissance Humaine) La conséquence de cet immatérialisme est qu'il n'y a pas de causalité physique (au vu de la passivité des objets sensibles) ni d'espace absolu. Les choses se succèdent selon la volonté divine. On peut d'ores et déjà constater une différence essentielle entre Berkeley et Matrix : si le concept même de matière semble au premier abord être rejeté dans le film, cela se limite exclusivement au monde des humains ; les machines existent bien réellement, à un degré de réalité supérieur dans un monde parallèle bien réel, celui de Morpheus. [...]
[...] Comment définir le réel, lui donner une signification à part en le reliant à quelque chose dans notre esprit? Il n'y a aucune autre façon. Et nous n'avons rien d'autre dans notre esprit que des idées. Alors on se rend compte qu'une réalité existant indépendamment de nos idées n'a pas de sens. Il semblerait ainsi qu'on soit débarrassés de l'inquiétude que nos idées puissent être fausses, inquiétude qui reposait sur le postulat que la réalité était différente de l'idée qu'on s'en faisait. [...]
[...] C'est une option très forte que de proposer aux spectateurs la perspective que rien ne peut nous faire croire en un monde réel. Neo vit dans une illusion qui cache un autre monde, et c'est ce que pensent beaucoup d'entre nous. Qui n'a jamais rêvé d'apprendre l'existence d'un autre monde (en un sens judéo chrétien ou autre) ? Mais lorsque l'on s'imagine un monde de substitution, il est le plus souvent effectif, réel, existant. Berkeley va à l'encontre d'une tradition profondément inscrite dans notre modernité rationnelle, il est absolument contre intuitif de penser comme lui. [...]
[...] Or on ne peut pas savoir si nos idées ressemblent ou pas aux idées présentes dans l'esprit de quelqu'un d'autre. Le problème reste entier. Ce n'est pas pour Berkeley, un problème de nombre de personnes ayant la même idée parce qu'il ne veut pas que chaque expérience unique soit considérée comme une illusion (un moustique qu'on serait le seul à avoir observé avant de le tuer et de le jeter par exemple). C'est ici que le concept de Dieu joue un rôle fondamental. [...]
[...] On ne regarde le monde qu'à travers les idées que nous nous en faisons. Une fois que Morpheus a introduit le doute dans votre esprit, on réalise que l'on ne peut jamais savoir si l'on vit dans un monde réel ou virtuel. On peut suggérer alors que le vaisseau de Morpheus est également une réalité artificielle au sein d'une réalité virtuelle. Mais le film ne pousse jamais le raisonnement jusque-là, nous laissant ainsi une légère sensation d'inachevé. Berkeley démontre en quoi l'hypothèse de l'existence réelle d'objets sensibles, distincte de ce que l'on perçoit par l'entendement, renferme une contradiction interne manifeste. [...]
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