L'intuition est la méthode du bergsonisme. C'est par elle que Bergson a mené les recherches et obtenu les résultats que l'on sait, dans l'Essai sur les données immédiates de la conscience d'abord, en 1889, Matière et Mémoire ensuite, en 1896, et L'évolution créatrice, en 1907. Dans la première partie de l'introduction qu'il rédigea en janvier 1923 pour La pensée et le mouvant, Bergson indique que cette méthode, l'intuition, lui a été suggérée suite à ses découvertes sur la durée, telle que celle-ci lui semblait définir dans l'Essai d'abord notre vie intérieure. « Il y a une réalité au moins que nous saisissons tous du dehors, par intuition et non pas simple analyse, c'est notre propre personne dans son écoulement à travers le temps, c'est notre moi qui dure » (PM, p. 183). Dans la genèse même du bergsonisme donc, l'intuition s'est trouvée d'emblée en relation intime avec la durée, et si la prise au sérieux de la seconde a précédé celle de la première, il faut dire que l'intuition est une méthode qui est née de la durée, et lui a en fait, de part en part, été coextensive. On le sait, Bergson avoue avoir longtemps hésité avant de choisir ce terme d'intuition pour désigner le renversement de perspective qu'il avait en vue. Intuition, en effet, cela semble renvoyer à une expérience vague et encore confuse, à une expérience non encore complète, en attente d'être rendue pleine (voir son statut chez Kant lui-même).
[...] Entre ces deux lignes extrêmes, l'intuition se meut, et ce mouvement est la métaphysique même écrivait Bergson en 1903. Insistons pour terminer sur ce point décisif en convoquant à nouveau L'évolution créatrice, chapitre p.201-204 : Bergson en appelle ici à l'expérience de la tension et de la détente personnelle. Nous pouvons, dit- il, être plus ou moins tendus ; si nous nous détendons, nous nous replongeons dans une durée où le passé toujours en marche se grossit sans cesse d'un présent absolument nouveau. [...]
[...] En revanche si aucune coïncidence n'est une coïncidence pure, les intuitions relèvent toutes de la même notion ; l'intuition de soi est l'intuition référentielle en tant qu'elle n'annule pas la différence que les autres intuitions tendent à réduire. L'intuition de soi par soi, elle qui est avant tout l'intuition, est déjà différence. Pourquoi alors la conscience immédiate de soi est-elle une quasi coïncidence ? Ce que saisit l'intuition c'est le moi en tant qu'il a ou plutôt en tant qu'il est une durée. Cette durée est une continuité, qu'il faut distinguer d'une agrégation : la continuité n'est pas la répétition, mais une innovation, innovation qui n'est pas un ajout, mais une croissance par le dedans dit Bergson. [...]
[...] Mais pourquoi dire alors que cette métaphysique prolongera la science du vivant ? En réalité ce que dit Bergson, c'est que la métaphysique de la vie prolonge la science du vivant, au sens où celui qui examine la science du vivant est insatisfait par ce qu'elle donne de la vie ; et en ce sens prolonger la science du vivant, c'est à la fois passer par elle et la dépasser ; ensuite si de l'intuition du vital dérive la métaphysique de la vie, c'est que celle-ci est possible en ressaisissant par la conscience l'élan de vie qui est en nous. [...]
[...] Or Bergson va livrer ici un élément décisif. En effet, quelle est cette réalité qui n'est unité ni multiplicité, et qui est à la fois ce que saisit la conscience et ce que ressaisit la métaphysique de la vie, ce qui relie l'intuition infra conceptuelle et la spéculation ultra conceptuelle ? Elle est ce qui est déjà métaphysique dans l'intuition, ou ce que la métaphysique récupère de l'intuition. Bergson évoque la nature singulière de la durée en même temps que le caractère essentiellement actif de l'intuition métaphysique Il faut garder la solidarité de ces deux aspect : si la durée est d'une nature singulière, ce n'est pas qu'elle est le propre exclusif du moi, mais plutôt qu'elle convient au caractère actif de l'intuition métaphysique. [...]
[...] En quoi alors l'inadéquation de la science du vivant sollicite-t-elle la ressaisie par la conscience de l'élan de vie ? Au chap de l'EC Bergson déclare qu'il incombe à la philosophie de rompre avec les habitudes scientifiques, de remonter la pente de l'intelligence pour être sensible à ce à quoi la science est insensible c'est-à-dire au caractère irréductible de la durée, à l'innovation attachée à la durée, à l'imprévisibilité et à l'originalité de ce qu'apporte la durée. C'est à la philosophie dit Bergson qu'il appartient de récupérer ce à quoi l'intelligence donc la science n'accorde par d'attention c'est-à-dire la contingence de l'innovation. [...]
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