La notion d'art appelle immédiatement celle de beauté. Le musée ou le livre sont le lieu d'expériences esthétiques, et chacun, aux murs de son "musée imaginaire", pour parler comme Malraux, accroche bien plus des tableaux que des cartes postales de paysages. Au point que l'on pourrait se demander si l'art ne serait pas, à défaut d'en être le domaine exclusif, le lieu d'origine de la beauté : le Swann de Proust n'aime-t-il pas en Odette sa ressemblance avec la Zéphora de Botticelli ? Le problème qui se pose ainsi, c'est de savoir si la beauté existe par elle-même ou si elle n'est qu'un fait culturel produit par une activité spécifique. Lorsque je qualifie un paysage ou un corps de beau, cette beauté est-elle intrinsèquement dans la chose, ou bien ne naît-elle pas que de mon regard d'esthète ? Autrement dit, la beauté n'est-elle qu'une production culturelle ? Existe-t-il une beauté naturelle ? (...)
[...] Si l'art et la beauté semblent fortement liés A. La beauté : une notion aux contours flous La beauté est une notion dont les philosophes, comme la sagesse populaire, n'ont de cesse de souligner la fragilité. Ainsi Platon soulignait déjà dans l'Hippias Majeur, et non sans ironie, que ce qualificatif pouvait s'appliquer tout aussi bien à une belle vierge qu'à une belle marmite Encore en déduisait-il une définition de la beauté : on peut dire beau ce qui correspond à un idéal défini par un usage (un beau cheval sera un cheval taillé pour la course) ou ce qui porte à un degré extrême ses qualités intrinsèques (la femme parfaite). [...]
[...] Conclusion Sans l'art on parlerait donc assurément de la beauté. Faire du premier le lieu de naissance de la seconde, c'est oublier la nature même de l'activité artistique pour la tourner en pure convention fermée sur elle-même. Si la notion de beauté est en partie galvaudée par des écarts de langage qui l'usent (une belle action, une belle marmite), il n'en reste pas moins qu'elle peut témoigner d'une existence à part entière, hors de l'art. Loin d'en produire une pâle imitation ou de s'adonner à une piètre célébration, l'artiste cherche toujours à reproduire la beauté même qu'il trouve dans la nature : celle d'une force de création aussi inépuisable que mystérieuse. [...]
[...] Ainsi, parler d'une beauté naturelle n'aurait pas de sens : c'est seulement notre œil d'artiste qui trouverait de la beauté dans la nature. Sans l'art, on ne pourrait donc en effet pas parler de beauté, dès lors que l'on définit celle-ci comme une production essentiellement humaine et spirituelle. Pourtant, le spectateur est souvent perplexe face à telle ou telle œuvre d'art, et souvent admiratif devant tel ou tel panorama : comment expliquer que les domaines de l'art et de la beauté ne coïncident pas ? II. L'art ne semble pas être la condition d'existence de la beauté A. [...]
[...] Ainsi, tout comme l'art n'a pas pour unique centre d'intérêt la beauté, la beauté n'a pas pour seul lieu l'art. Si elle reste une notion impliquant de façon directe la subjectivité (le jugement de goût), celui-ci peut s'exercer sur des objets non artistiques. Mais affirmer que la beauté peut exister hors de l'art comporte immédiatement un risque : celui de faire de l'art une pure imitation de la beauté de la nature. Dès lors, il faut confronter de façon plus frontale les notions de beauté naturelle et beauté artistique, afin de comprendre quel lien les unit. [...]
[...] Mais ce phénomène n'est pas récent : les plus grands peintres (Vinci, Rubens, Rembrandt) poursuivaient en leur temps les mêmes préoccupations et les tableaux qu'aujourd'hui l'on admire au musée comme de magnifiques morceaux de peinture étaient à leur époque des œuvres parfois engagées où la représentation de tel ou tel personnage, l'apparition de tel ou tel détail avaient des résonances directes pour le spectateur bien éloignées des considérations purement esthétiques et qui s'adressaient moins à l'esthète qu'au citoyen, au courtisan, ou au religieux. Ainsi, dans la peinture médiévale, la couleur bleue n'était pas utilisée pour ses qualités esthétiques, mais elle fonctionnait avant tout comme un code : le prix très élevé du pigment bleu en faisait avant tout un signe de prestige, qui visait à faire du tableau un objet rare et cher. B. Et celle-ci peut exister indépendamment de l'art Symétriquement, on ne saurait réduire le champ d'existence de la beauté au seul domaine de l'art. [...]
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