Le devoir est ce qui s'impose à nous comme ce que nous devrions faire quoiqu'il nous en coûte. De ce fait, il entre souvent (pour ne pas dire toujours) en contradiction avec nos propres désirs : ce que je dois faire n'est pas ce que j'ai envie de faire, ce pour quoi d'ailleurs grande est la tentation de ne pas le faire, en d'autres termes de m'en dispenser. Alors, qu'avons-nous à gagner à faire notre devoir ? Rien ne semble-t-il, sinon endurer la frustration de nos désirs. A moins toutefois que l'obéissance à ce que le devoir prescrit ne soit elle-même la source d'une certaine satisfaction, devant soi-même ou devant autrui : après tout, celui qui a agi envers et contre tout selon ce que le devoir ordonne n'a-t-il pas fait preuve de maîtrise de soi, de grandeur d'âme, de fermeté dans ses principes ? Ne montre-t-il pas qu'il est capable de ne pas se laisser emporter par ses désirs, qu'il peut opposer aux mobiles issus de la sensibilité des mobiles d'un tout autre ordre, qui ont la seule raison pour origine ? Peut-être, mais que vaudrait le devoir s'il devait, au nom de ce que le commandement moral exige, me pousser à humilier en moi la sensibilité même ? Que vaut un devoir qui au nom d'une exigence universelle s'imposant d'égale façon à tous m'oblige à renoncer à tout ce qui en moi est particulier ?
[...] L'identité des devoirs et des droits 1. Critique de la liberté pratique Or c'est précisément la conception kantienne de la moralité que Hegel refuse, ou du moins, plus exactement, qu'il juge insuffisante et partielle. Selon Hegel en effet, Kant n'a vu qu'un aspect de la vie morale : la vie morale telle qu'elle se présente à la conscience de l'individu, sous la forme d'un impératif ou d'un commandement absolu de la raison qui s'adresse à moi dans l'intériorité de ma conscience sous la forme d'un tu dois à savoir le devoir même. [...]
[...] Pour faire mon devoir, il faudrait que la maxime de mon action soit parfaitement universelle, mais cela a-t-il seulement été le cas une seule fois? Après tout, et selon Kant lui-même, il se pourrait fort bien qu'aucune action morale n'ait jamais été accomplie dans le monde. Mais c'est bien dans ce monde que je vis. Et même quand je ne réponds pas à l'exigence morale du devoir, je ne fais pourtant pas n'importe quoi ni seulement ce que mon désir me porte à vouloir: des règles éthiques régissent mes rapports à autrui, aussi bien au sein de la famille que de la société civile ou de l'État. [...]
[...] Plus précisément, la position kantienne n'est que le point de vue abstrait de la subjectivité sur la vie morale, le point de vue de la conscience individuelle face à l'impératif intérieur du devoir, où tout se joue dans le face-à-face de l'individu avec lui-même. La moralité c'est la manière dont la morale vient me concerner en tant que simple individu, au sein de ma subjectivité pure et simple, de mon intériorité. Mais la vie morale ne saurait se réduire à ce pur tu dois au fond sans effectivité dans le monde, qui demeure une pure exigence abstraite et formelle, et ne fait que souligner à quel point le monde et mon agir ne sont pas ce qu'ils doivent être. [...]
[...] Ce que nous gagnons (la liberté, et d'abord comme capacité à résister à l'impulsion du désir) compense-t-il alors ce que nous perdons, à savoir le plaisir que nous procure la satisfaction du désir lui-même ? Selon Kant, cette satisfaction sensible est toujours illusoire puisqu'il suffit de contenter un désir pour qu'il se déporte sur un autre objet ; en revanche, celui qui agit moralement connaît la seule satisfaction véritable, le contentement moral. Mon devoir n'a rien d'agréable, il vient contredire ma tendance à laisser le désir guider mon action, il vient frustrer la sensibilité même de toute satisfaction. [...]
[...] Donc, à l'universalisation de ma volonté particulière, répond de la part de l'État une particularisation de l'universel. En tant qu'individu, je dois agir conformément à ce qu'édictent les lois valant pour tous les citoyens ; mais en tant qu'individu, j'ai aussi des droits que l'État a le devoir de faire respecter. Autrement dit, mon devoir vient coïncider avec mon droit : ainsi, le service militaire par exemple est un devoir pour le citoyen ; mais c'est aussi le droit de voir sa propriété et ses institutions protégées contre les menaces extérieures. [...]
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