Le terme d'aventure est aujourd'hui galvaudé dans les médias, utilisé pour décrire toute activité, de la construction européenne à la génétique en passant par la lecture. Cette profusion signifie-t-elle une apogée de l'aventure aujourd'hui, ou traduit-elle au contraire une progressive perte de sens du mot ? En effet, si tout est aventure, alors rien ne l'est plus. L'on pourrait même se demander si, de manière générale, l'aventure est simplement possible aujourd'hui. Si elle l'est, quelles en sont ses formes et son contexte ?
L'aventure est généralement perçue comme une ‘entreprise hasardeuse, comportant imprévu et risque' (Académie Française). Dans cette optique, l'aventure dans un monde moderne, en tant que réaction adaptée à la prise de conscience de la finitude du monde, serait possible ; l'aventurier serait même la figure moderne par excellence (I). Toutefois, cette thèse fait l'objet de critiques, notamment concernant le fait que l'aventure en tant que phénomène moderne ne peut se réaliser, voire conduit à sa propre perte (II). Il est alors possible de penser que l'aventure n'est au contraire possible que dans une vision anti-moderne, ce qui risque de la confiner à un idéal nostalgique (III).
[...] Si le ‘Che' semble avoir été le dernier aventurier politique, parcourant le monde pour répandre la lutte contre l'impérialisme, les nombreux groupes identitaires indépendantistes actuels peuvent être vus comme des aventuriers dans une optique pré-moderne. Ils s'intègrent en effet dans leur société communautaire, où chacun a sa place, et luttent contre la société moderne de leur Etat afin d'obtenir leur indépendance et de pouvoir vivre selon le mode qui leur est propre. Enfin, l'aventure est imprégnée de l'idéal pré-moderne en ce qu'elle est parcourue d'un idéal aristocratique (III.B.2). On retrouve ici l'idée du ‘grand homme' de Nietzsche, avec ses valeurs élevées, et qui vit intensément tout en trouvant son authenticité dans la solitude. [...]
[...] Toutefois il en résulte forcément une inadéquation entre l'aventure et la société post-moderne ; il semble que l'aventure au sens pré-moderne, basée sur un élitisme aristocratique, soit destinée à être constamment dénaturée et même rejetée par la société démocratique. Elle est donc impossible et ne peut être qu'un sentiment nostalgique. Venayre, Sylvain. La gloire de l'aventure genèse d'une mystique moderne 1850-1940. Paris : Aubier ‘L'aventure n'est-elle qu'une mode ?' recueil d'essais, in Agora débats/jeunesse ‘L'aventure n'est-elle qu'une mode ?' recueil d'essais, in Agora débats/jeunesse Venayre, Sylvain. La gloire de l'aventure genèse d'une mystique moderne 1850-1940. Paris : Aubier Jankélévitch, Vladimir. L'irréversible et la nostalgie. [...]
[...] D'ailleurs, le recentrage de l'aventure sur l'inconnu du voyageur, sur son incognito voire sa situation illégale, permet de remplacer la perte de l'inconnu de l'espace. Enfin, cette conception de l'aventure comme expérience individuelle s'exprime tout particulièrement à travers l'horreur des masses qu'éprouvent les aventuriers. L'aventure est l'expression de la liberté de l'individu, et ne peut donc pas se placer dans le domaine de la collectivité. La solitude, vue comme un préalable nécessaire voire comme un synonyme de la liberté, non seulement rend possible mais est même nécessaire à la réalisation de l'aventure. [...]
[...] De ce fait, l'aventure est souvent liée à la révolution. L'existence de ces deux idéologies –l'une inhérente à l'aventure, l'autre donnée par l'aventurier– n'est pas forcément paradoxale. Au contraire, la définition de l'aventure par Georg Simmel, premier à avoir établi une ‘Philosophie de l'Aventure', permet de réconcilier les deux notions. En effet, face à un événement, on peut chercher son sens interne, mais aussi son rapport à notre vie entière. L'aventure a ceci de particulier qu'elle intègre une forme de transcendance qui lui est propre, le hasard, tout en ayant un sens pour la vie de l'aventurier de manière globale. [...]
[...] Ou doit-on plutôt accepter une définition de l'aventure inspirée du pré-modernisme, et donc impossible aujourd'hui ? Il est possible de penser l'aventure comme une entreprise résolument moderne, adaptée aux caractéristiques de son environnement, et l'aventurier comme l'archétype de l'homme moderne En effet, le monde moderne est marqué par une prise de conscience de ses propres limites : le monde est fini, et qui plus est il se rétrécit (I.A). L'aventure, en tant qu'entreprise hasardeuse nécessitant l'affrontement à l'inconnu et l'imprévu, s'accommode mal des nouvelles caractéristiques de son univers. [...]
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