Chercher à savoir si l'on peut légitimement parler du travail de l'artiste, c'est s'interroger sur les rapports qu'entretient l'artiste avec l'activité qu'il déploie lors de la production d'une oeuvre. Contrairement à l'artisan, qui, par l'excellence dans son travail, par l'acquisition d'une technique et la maîtrise d'une exécution ou d'un savoir-faire, reproduit habilement un modèle ou éventuellement en invente de nouveaux ; l'artiste « crée des formes » , il transpose les éléments de la réalité qu'il contemple dans une oeuvre d'art, qui est alors l'objet-support de la représentation. C'est probablement cette tension originelle et inhérente à l'activité de l'artiste, à savoir celle qui oppose imitation (la prise en charge et le transfert d'éléments du réel) et création (l'expression d'un homme ou d'une âme), qui vient nourrir tout un courant doxique, qui distingue fermement l'activité de l'artiste des autres activités de production exercées par l'artisan ou l'ouvrier, alors même qu'il attribue à l'artiste un statut particulier au sein du corps social. En effet, le discours de l'opinion caractérise la genèse d'une oeuvre d'art par opposition à celle des productions techniques. Discours selon lequel, l'artiste produit un oeuvre désintéressée, qui est à la fois son propre moyen et sa propre fin ; une oeuvre dont la visée n'est pas a priori d'attester d'une certaine habilité technique ou de susciter un quelconque jugement esthétique, mais au contraire, de se faire révélation de ce que la réalité ne donne pas immédiatement à voir. Dès lors qu'elle est étrangère à toute praxis, l'activité de l'artiste ne dépend pas d'une « action en vue de » ; elle est simplement l'expression d'une pure « création artistique ». A l'instar du poète chassé de la cité idéale platonicienne, l'artiste, par son activité, se marginalise dans une société fortement soumise au triomphe de l'économie capitaliste et de l'utilitarisme qui lui est sous-jacent. D'autre part, il semblerait que l'artiste lui-même distingue son activité de toutes les autres activités de production et se différentie des autres travailleurs, peut-être par soucis de préserver ainsi une certaine aura à ses oeuvres. Le jeune poète Chatterton, personnage éponyme mis en scène par A. De Vigny , incarne l'un des avatars de cette figure de l'artiste, qui défend la gratuité de l'Art contre le sens des affaires capitalistes (incarné dans la pièce par la bourgeoisie montante). Vigny nous rappelle que « [Le poète] marche consumé par des ardeurs secrètes et des langueurs inexplicables. Il va comme un malade et ne sait où il va ; [...] il a besoin de ne rien faire, pour faire quelque chose de son art. Il faut qu'il ne fasse rien d'utile et de journalier pour avoir le temps d'écouter les accords qui se forment lentement dans son âme, et que le bruit grossier d'un travail positif et régulier interrompt et fait infailliblement évanouir. »
Si l'on conçoit sans problème le travail de l'artisan ; au contraire, l'interrogation sur la validité de la formule « le travail de l'artiste » semble rapidement tranchée, étant donné la résistance à laquelle on se heurte pour s'affranchir des incohérences entre les manifestations de ce que l'on appelle communément « travail », et l'activité artistique en soi. Pourtant, réfléchir sur la notion de « travail de l'artiste » engage bien plus qu'une simple convention lexicale : elle repose la question première des mystères de la création. En effet, si l'on ne peut parler du travail de l'artiste, comment en définir l'activité sans la dévaluer, ou pire, la déconsidérer ? (...)
[...] Si l'on conçoit sans problème le travail de l'artisan ; au contraire, l'interrogation sur la validité de la formule le travail de l'artiste semble rapidement tranchée, étant donné la résistance à laquelle on se heurte pour s'affranchir des incohérences entre les manifestations de ce que l'on appelle communément travail et l'activité artistique en soi. Pourtant, réfléchir sur la notion de travail de l'artiste engage bien plus qu'une simple convention lexicale : elle repose la question première des mystères de la création. En effet, si l'on ne peut parler du travail de l'artiste, comment en définir l'activité sans la dévaluer, ou pire, la déconsidérer ? [...]
[...] Conclusion : le caractère ineffable du travail de l'artiste. L'artiste est susceptible de transmettre aux humains un message inspiré qui est irréductible aux codes techniques, par la production d'une œuvre générée à travers un acte de création, dont le caractère mystérieux reste ineffable : l'art s'éprouve, il ne se prouve pas. Si l'on refuse, comme Nietzsche de reconnaître dans ce processus un quelconque phénomène magique, surnaturel, même si l'on nourrit en conséquence une certaine méfiance à l'égard de l'idée de génie, on doit cependant avouer une part d'impuissance lorsqu'il s'agit de décrire la façon précise comment l'œuvre se fait ou ce qui lui donne tout son pouvoir de séduction. [...]
[...] En effet, l'activité artistique est d'abord une activité : sa valeur fondamentale ne se joue ni dans une intention préalable, ni dans un commentaire après coup, mais dans une réalisation effective dont certaines dimensions échappent toujours en partie à la maîtrise lucide de celui qui crée l'œuvre comme de celui qui la contemple. A. Malraux, Les Voix du silence, p A. De Vigny, Chatterton, Acte III, scène 6 (1835) A. De. Vigny, Préface-Manifeste à Chatterton. Charbonnier, Le Monologue du peintre. [...]
[...] Le premier état de la composition date du 11 mai. Dès ce moment, écrit-il, la partie droite de l'œuvre possède à peu près les divers éléments et la structure qu'on lui voit [ ] Des essais de collages apparurent dans les quatrième et sixième états Et ce n'est qu'au prix de nombreuses ébauches, essais et dessins préparatoires, que l'œuvre est achevée dans son état actuel à la mi- juin. Ces exemples, qu'on aurait pu multiplier, prouvent combien l'artiste ne sombre pas dans un aléatoire de la forme ; mais qu'au contraire, il travaille son œuvre le temps d'une longue période de gestation avant un bref accouchement ; il lui consacre des efforts et du temps, en vue de la perfectionner, de la parachever, jusqu'à ce que l'artiste et l'œuvre ne fassent plus qu'un, au moment de la création. [...]
[...] G. Flaubert, Lettre à Georges Sand février 1869. M. Jardot, Picasso, Musée des arts décoratifs K. Yacine, Nedjma Le poète comme Boxer. A. Wharol, La philosophie d'Andy Warhol (de A à back again) Merleau-Ponty, L'œil et l'esprit. Merleau-Ponty, L'œil et l'esprit. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture