S'il est un préjugé tenace en peinture, c'est bien que l'on attende encore de la toile qu'elle ressemble à son modèle. Le fossé s'est de plus en plus creusé entre l'art contemporain et un public perdant toute référence et qui trouve que « cela ne ressemble à rien », comme on l'entend dire souvent. Cette phrase vaut à la fois pour constat et réprobation.
Faudrait-il que ce qui est visible sur la toile ressemble à ce que l'on peut voir au quotidien ? Le domaine de l'art doit-il coller à la réalité vue ?
L'art contemporain a répondu massivement en rompant avec un certain réalisme de la représentation. Beaucoup d'artistes contemporains souscriraient à cette phrase de Paul Klee, qui fait presque office de manifeste esthétique : « L'art ne reproduit pas le visible. Il rend visible. »
[...] Il rend visible cette zone de contact entre le monde intérieur et le monde extérieur. Le monde quotidien que nous voyons est transfiguré par le regard de l'artiste. Matisse disait que «l'artiste ou le poète possèdent une lumière intérieure qui transforme les objets pour en .faire un monde nouveau, sensible, organisé, un monde vivant qui est en lui-même le signe infaillible de la divinité L'art représente un monde intérieur, imaginaire, comme cela apparaît nettement dans l'univers de certains peintres, Bosch ou Dali. [...]
[...] Ne croyons pas que l'abstraction soit une idée de l'art moderne, et que l'imitation fidèle de la réalité caractérise l'art ancien. Les formes anciennes de l'art crétois ou égyptien sont au contraire des expressions stylisées de la fécondité ou d'autres valeurs sociales. L'art ne copie pas la réalité ; il la symbolise, comme le langage. Il la transpose dans le système des signes qui sont les siens, celui des formes, des sons et des couleurs. Conclusion L'art, donc, rend visible. [...]
[...] Le naturalisme, comme plus tard l'hyperréalisme sont donc des styles, c'està-dire une certaine manière de traiter la réalité, non de la reproduire telle qu'elle est. Des choix esthétiques sont opérés, et le naturel selon Diderot est aussi éloigné de la nature réelle que l'imaginaire le plus débordant. C'est encore un imaginaire. Le projet de reproduire la réalité n'a donc jamais été celui de la peinture. Comme le dit encore Francastel : Le but de l'art est de fixer des valeurs, des croyances, des traditions, des leçons, il n'est pas de transposer le spectacle du monde. [...]
[...] Si l'art ne reproduit pas le visible mais rend visible, c'est bien parce que, pour lui, la réalité ne correspond pas à ce qui est visible, et parce qu'aussi ce que nous croyons voir n'est très souvent qu'une simple manière de voir. Au moment même où l'on croit reproduire fidèlement un chien ou un visage en en faisant le dessin, on ne fait que se conformer à une certaine manière de voir, ainsi qu'à une certaine esthétique réaliste Mais le réalisme est un style, une esthétique, au même titre que le cubisme. [...]
[...] Il est une manière sensible, et non rationnelle, de penser le réel. Et ces deux pensées témoignent d'une même crise de la représentation de la réalité. La réalité que la peinture moderne nous donne à voir est en effet aussi peu évidente que celle que la physique cherche à comprendre. Pour le physicien qui étudie la matière, l'électron n'est pas une chose. Cela peut nous arranger de nous l'imaginer comme une bille minuscule tournant autour d'un noyau comme une planète autour du Soleil. [...]
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