Dans notre tradition tant littéraire que philosophique, l'art et la mort apparaissent comme deux notions proches, pensées comme deux transcendances à travers lesquelles l'homme tente d'atteindre l'inatteignable, l'indicible, l'absolu. C'est d'ailleurs la quête d'une découverte métaphysique de l'au-delà qui distinguerait l'humain de l'animal, seul être vivant conscient de son caractère mortel. C'est ainsi qu'en paléontologie, la découverte de rites funéraires est considérée comme un élément important pour déterminer le degré d'éveil social d'un hominidité. Mais l'activité artistique serait également, à l'instar de la politique, le « propre de l'homme ». L'art pourrait ainsi être défini comme la manifestation d'une liberté, d'un véritable pouvoir par lequel l'homme s'affranchirait des nécessités naturelles et des contraintes de la vie sociale pour exprimer, au travers de ses réalisations, toutes les fantaisies engendrées par son imagination.
Dès lors, l'expression artistique permettrait à la fois de se représenter cette étape, voire de la dépasser. Si étymologiquement, le terme d'art – ars en latin – traduit le mot grec techné et désigne aussi bien la technique, le savoir faire, que la création artistique, la recherche du beau ; il est aujourd'hui considéré comme une pratique visant à la production d'œuvres susceptibles d'exprimer un idéal moral ou esthétique mais aussi et surtout métaphysique. Recensés par Hegel dans son Esthétique, les six arts traditionnels (architecture, sculpture, peinture, musique, gravure et dessin) ont donc largement représenté l'idée de mort, tandis que les nouveaux courants artistiques (le romantisme, le symbolisme et l'expressionnisme) ainsi que les nouveaux médiums (photographie, cinéma, informatique) ont permis de considérer l'art comme l'expression et la communication d'émotions.
Mais, progressivement, les Lumières auraient introduit une nouvelle conception de la mort perçue dans un contexte de maîtrise de la nature comme un évènement relié à la raison plus qu'à la foi. Il semble ensuite que ce soit dans l'éclatement des courants dits post modernes de ces dernières décennies que l'art ait voulu, avec le plus de crudité, exhiber la mort, remettant par là même en cause la notion d'esthétisme. L'évolution du rapport entre l'art et la mort permettrait ainsi de dessiner des tendances en histoire de l'art. Tandis que, rétrospectivement, la mort serait désormais naturellement perçue comme une fin maîtrisée plus que subie. Peut-on valider ces impressions premières ? Elles renvoient dans tous les cas à une idée centrale : celle d'un dépassement de la condition mortelle de l'homme grâce à l'activité artistique.
En ce sens, si art et mort permettent de déterminer certaines caractéristiques propres à l'humain, si leur collusion est illustrée par les évolutions les plus récentes de l'histoire des idées, jusqu'à quel point l'activité artistique peut-elle être aujourd'hui pensée comme un dépassement du caractère temporaire de l'homme ?
Si l'art dit classique a historiquement tenté de représenter la mort puis de la repenser dans le but de dépasser le caractère périssable de l'humain, l'art dit contemporain a, eu égard à ses mutations les plus récentes, de véritables difficultés à se positionner face à la mort.
[...] Antoine de Saint Exupéry exprimait ainsi la nécessité pour l'homme de se projeter dans une œuvre qui le dépasse : N'espère rien de l'homme s'il travaille pour sa propre vie et non pour son éternité. Cette projection a bel et bien ce caractère personnel, presque égoïste qui fait que l'artiste travaille pour que son œuvre lui survive, pour qu'il dépasse, à travers elle, son caractère mortel. Mais cette question sous tend celle de la temporalité, du contexte dans lequel s'inscrit l'artiste. Or, comme ce fut le cas des Balzac, Zola, et autres Rimbaud, inconnus du grand public durant leur vie, l'œuvre d'art échappe souvent au regard du contemporain. [...]
[...] Mais comment réagir face à la barbarie ? A une barbarie d'autant plus surprenante que le XIXème siècle annonçait le siècle à venir comme celui du progrès et de la raison ? Face à la Shoah, l'art se trouve, pour l'une et peut être la première fois de son histoire face à l'irreprésentable. Approcher cette réalité est d'autant plus délicat que l'existence d'un art nazi, symbolisé notamment par les films de Léni Riefensthal, repousse les artistes dans leurs derniers retranchements. [...]
[...] Andy Warhol persiste et signe. Cette déconstruction de l'œuvre d'art entraîne un renouvellement des thèmes abordés : la déconstruction passe aussi par là. Le thème classique qu'était la mort est donc moins présent. Mais les artistes de cette période confessent également une difficulté à représenter la vie. Michel Henry en tire une conséquence radicale : toute peinture est abstraite parce que la vie n'est pas un objet parce que la vie n'est pas objective. Dans ce nouvel univers technologique et médiatique, tout art est abstrait. [...]
[...] Le passage à la postérité est donc marqué par un certain degré de contingence. Il s'agit d'une caractéristique évolutive, consubstantielle à une période donnée. L'artiste espère cependant que son œuvre lui survivra, qu'elle sera même plus appréciée par les générations futures. Mais le spectateur évacue également ses angoisses grâce à l'œuvre d'art : la fonction cathartique de la représentation théâtrale lui permettant, par exemple, d'exorciser sa violence et sa peur. Cette relation spéculaire opère un détachement, une mise à distance toujours destinée à oublier sa propre condition de mortel. [...]
[...] L'évolution du rapport entre l'art et la mort permettrait ainsi de dessiner des tendances en histoire de l'art. Tandis que, rétrospectivement, la mort serait désormais naturellement perçue comme une fin maîtrisée plus que subie. Peut-on valider ces impressions premières ? Elles renvoient dans tous les cas à une idée centrale : celle d'un dépassement de la condition mortelle de l'homme grâce à l'activité artistique. En ce sens, si art et mort permettent de déterminer certaines caractéristiques propres à l'humain, si leur collusion est illustrée par les évolutions les plus récentes de l'histoire des idées, jusqu'à quel point l'activité artistique peut-elle être aujourd'hui pensée comme un dépassement du caractère temporaire de l'homme ? [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture