Parmi toutes ces créations du produire humain, nous en distinguons certaines, les œuvres d'art, nées du travail d'un artiste et non d'un artisan, et qui semblent trancher par rapport aux objets peuplant notre réalité quotidienne. Certes, je peux passer devant cette statue sans la regarder, parce que je la croise tous les matins ; mais alors, je ne m'y rapporte pas comme à une œuvre d'art. Quand j'y porte mon attention en revanche, quand je la regarde comme statue et non comme décor habituel et indifférent, est-ce que je me rapporte à elle comme à n'importe quel objet ?
En d'autres termes, l'art est-il étranger à la réalité quotidienne ? Dire que l'œuvre d'art surgit comme une étrangeté dépaysante, c'est admettre qu'elle n'a pas pour nous la même modalité de présence que les objets d'usage qui constituent le monde humain. Alors, comment nous rapportons-nous aux œuvres d'art, et ce rapport diffère-t-il de la façon dont nous sommes en relation avec les autres objets fabriqués par l'homme ? Et si cette différence devait être constatée, faudrait-il l'expliquer par une hétérogénéité dans les modes de production de l'objet d'usage d'une part et de l'objet d'art d'autre part ?
[...] L'œuvre d'art n'est pas au service de la propension au bien-être Pour savoir si le produit de l'art au sens restreint (c'est-à-dire entendu comme beaux-arts est étranger aux autres objets fabriqués par l'invention humaine, il faut commencer par se demander pourquoi en général nous fabriquons des objets. Comme le remarquait Aristote, il y a deux sortes d'objets fabriqués : ceux qui ont un usage immédiat (le vêtement, la maison) et ceux qui ont pour but de fabriquer autre chose (le marteau, la scie). Dans les deux cas cependant, les objets fabriqués ont une finalité extérieure à eux-mêmes : ils sont faits pour être à notre service, en sorte que leur fin est notre usage. [...]
[...] En d'autres termes, l'art est-il étranger à la réalité quotidienne ? Dire que l'œuvre d'art surgit comme une étrangeté dépaysante, c'est admettre qu'elle n'a pas pour nous la même modalité de présence que les objets d'usage qui constituent le monde humain. Alors, comment nous rapportons- nous aux œuvres d'art, et ce rapport diffère-t-il de la façon dont nous sommes en relation avec les autres objets fabriqués par l'homme ? Et si cette différence devait être constatée, faudrait-il l'expliquer par une hétérogénéité dans les modes de production de l'objet d'usage d'une part et de l'objet d'art d'autre part ? [...]
[...] L'art est-il étranger à la réalité quotidienne ? Depuis notre réveil ce matin, nous n'avons presque exclusivement rencontré que des produits de l'art humain : les maisons, les routes, mais aussi les arbres, qui ont été plantés et entretenus par l'homme, et les animaux obtenus par croisement. Si nous donnons à l'art son sens le plus large, en l'opposant à la nature (la nature étant ce qui se fait sans que l'homme y prête la main alors force est de reconnaître qu'il n'y a rien de plus quotidien que les objets d'art : ce sont eux qui constituent notre monde. [...]
[...] De ce point de vue, les œuvres d'art semblent comme étrangères à la réalité quotidienne : un marteau sert à enfoncer un clou, qui sert à fixer la planche, qui sert à construire le toit et qui sert à nous protéger de la pluie, de la nuit et du froid ; l'œuvre d'art, elle, ne sert à rien elle ne peut être ramenée, médiatement ou immédiatement, à aucun des besoins du corps. Ce qu'il faut alors remarquer, c'est que cette différence de statut semble être, en première analyse, le fruit d'une différence dans les modes de production. L'artiste crée une œuvre d'art ; l'artisan fabrique un objet d'usage. Alors que l'habileté constitue la limite supérieure de la production, elle est la limite inférieure de la création. [...]
[...] Le plaisir qu'elle procure est gratuit, et c'est son inutilité même qui la rend singulièrement étrangère à la réalité quotidienne. Ainsi, le plaisir esthétique est indifférent à la réalité qui a suscité l'œuvre (la question de savoir si le paysage représenté sur le tableau existe réellement ne se pose pas) autant qu'à la question du service qui caractérise l'objet d'usage (quand je regarde un château que je trouve beau, je ne me demande pas s'il est commode à habiter ou ruineux en chauffage). [...]
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