Philosophie, dissertation, art, sensible, sensibilité, oeuvre, spirituel, matière, sens
Se demander si l'art est un domaine où règne la sensibilité est a priori absurde : à quoi s'adresse l'art en effet, si ce n'est aux sens - et tout particulièrement à ceux de la représentation (la vue et l'ouïe) ? La simple dénomination « d'arts plastiques », aujourd'hui commune, nous indique en soi, semble-t-il, que ceux-ci se situent dans la sphère du sensible, que ce soit du point de vue de l'oeuvre (elle est éminemment un objet matériel) ou de celui du spectateur (l'art est éminemment un objet matériel) ou de celui du spectateur (l'art s'adresserait ainsi à ses sens, par opposition à son esprit). Toutefois il faudrait alors prendre P. Claudel au pied de la lettre lorsqu'il déclare : « l'art dispense de penser » ; ce serait empêcher toute conceptualisation de l'oeuvre d'art - et donc tout questionnement philosophique, ou plus généralement toute théorie de l'art - pour aboutir à un relativisme lié à la notion de goût (entendu comme sensibilité personnelle). De ce point de vue, si toute discussion sur l'art se résout en une évaluation fondée sur des critères individuels, alors nous sommes restreints à une anthropologie empirique sans aucune valeur philosophique. Il va donc s'agir de discuter cette notion de sensibilité dans ses différentes acceptions, tout en gardant comme pierre de touche la question de savoir si l'art demeure prisonnier de la sphère du sensible (quant à ses enjeux et à sa portée notamment) ou s'il possède un contenu spirituel - voire s'il ouvre sur une révélation métaphysique. L'évaluation de l'oeuvre ne se limiterait alors pas au jugement d'une sensibilité personnelle, ais mettrait en jeu un questionnement philosophique ; à cet égard, ne pourrions-nous pas faire l'hypothèse que l'objet d'art, si sa matérialité est parcourue de spiritualité, dépasse le domaine du sensible tout en le révélant ? Il va s'agir tout d'abord d'analyser les problèmes inhérents au fait de rattacher l'art uniquement à la sphère de la sensibilité ; ceci nous mènera à considérer l'existence d'une interpénétration du sensible et du spirituel dans l'oeuvre. Nous étudierons enfin le fait que l'art met en évidence le sensible tout en ouvrant sur une révélation métaphysique.
[...] Plutôt que d'imiter platement, l'œuvre n'a-t-elle pas pour fin de représenter ? Ainsi, peut-être faut-il nuancer la dévaluation platonicienne de l'art et conférer un sens plus fort au terme de mimêsis : reconnaître l'appartenance de l'œuvre au domaine de la sensibilité n'implique pas nécessairement d'en faire un pâle reflet ou un plat simulacre. Il conviendrait alors d'utiliser la notion de mimêsis plutôt au sens d'Aristote : ce dernier, dans sa Poétique, reconnaît l'imitation comme une faculté naturelle à l'homme – donc légitime. [...]
[...] L'art est un révélateur : Heidegger prend l'exemple du temple, lié symboliquement au ciel puisqu'exprimant la transcendance, mais manifestant aussi la terre sur laquelle il est construit – il fait le lien entre terre et ciel, il est expression de la religion, au sens étymologique. Bref, si la sensibilité règne dans le domaine artistique, c'est qu'elle est mise en évidence par l'œuvre, puisqu'elle est un moment d'une révélation métaphysique, d'une manifestation de l'être. Pouvons-nous aller jusqu'à admettre qu'une révélation métaphysique se fasse spécifiquement par la sensibilité ? Nous allons tâcher de voir que le domaine du sensible dans l'art participe d'une manifestation ontologique. [...]
[...] Pensons d'ailleurs au terme d'enthousiasme, dans la poésie lyrique classique, au sens étymologique d'inspiration divine – voire de possession : la parole poétique est celle d'un dieu, et le poète doit payer de sa personne pour en être le relai (pensons par exemple aux transes de la Pythie lorsqu'elle livre ses oracles D'ailleurs, la rime lyre / délire est particulièrement usitée aux XVIIIè et XIXè siècles). Bref, nous observons que l'art, semble-t-il, s'impose au spectateur en frappant sa sensibilité : si cette dernière règne, c'est un règne despotique et violent, une fascination puissante exercée sur les sens du spectateur. Pensons d'ailleurs à Valéry qui rapporte sa visite dans un musée (Pièces sur l'art), « étrange désordre organisé » où chaque œuvre réclame l'entière attention du spectateur, et ne peut donc souffrir sa juxtaposition avec d'autres objets artistiques. [...]
[...] Toutefois, l'idée de mimêsis doit peut-être être remise en perspective aujourd'hui : en effet, si l'on juge quelque femme de Picasso d'après le critère de la vraisemblance, doit-on considérer, puisqu'elle a les deux yeux sur le même côté de la tête, qu'elle est une bonne imitation d'une nature féminine qui exige la révision de nos critères esthétiques, ou alors qu'elle est une mauvaise imitation d'une femme normale ? Ce type de questionnement nous fait évidemment passer à côté de l'essentiel – de ce qu'a voulu signifier l'artiste. [...]
[...] Du reste, peut-être cette sensibilité gagne-t-elle quelque poids si elle est parcourue de spiritualité. Il va donc s'agir d'analyser l'hypothèse d'une valeur spirituelle de l'œuvre d'art : considérons tout d'abord l'idée d'une mission métaphysique pour l'art. Nous étudierons ensuite la possible harmonie entre la forme et la signification dans l'œuvre. Il demeure indéniable que restreindre l'art au domaine de la sensibilité (ou du sensible, avec toute la valeur péjorative de l'emploi platonicien) semble un appauvrissement : tout le monde va-t-il au musée simplement pour se réjouir les yeux ? [...]
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