Art, détournement de la réalité, distraction, création artistique, métaphysique, Nietzsche, échappatoire, Magritte, divertissement, mimétisme, La nuit étoilée, objectivité, sensibilisation au réel, expression, Emmanuel Kant, Le bal du moulin de la galette
Au XIXe siècle, Stendhal écrit : "toute oeuvre d'art est un beau mensonge". Si cela est exact, alors l'art serait le refuge imaginaire de nos angoisses existentielles, l'écran couleur de rêve qui dissimulerait le réel et le rendrait plus supportable à nos yeux. L'art est cette activité de libre création qui, contrairement à la technique, ne répond à aucun besoin vital : d'un point de vue téléologique, l'art tend vers un plaisir de contemplation. En créant des portails vers d'autres mondes et d'autres temporalités, les oeuvres d'art nous confèrent un espace fictif de beauté et de douceur, où l'on peut se consoler et oublier un instant la violence du monde réel. Mais peut-on réduire l'art à cette fonction dissimulatrice ? Il existe aussi des oeuvres d'art qui, loin de représenter le calme ou la grâce, nous délivrent des scènes brutes et déplaisantes qui nous agitent et nous bouleversent.
[...] En quoi cette double appréhension du réel les tourne-t-elle naturellement vers les arts ? D'après Kant, c'est l'harmonie de nos facultés qui éveille en nous le plaisir pris au beau. En effet, si les animaux poursuivent le plaisir intéressé et immédiat que leur procurent leurs sens, en mangeant par exemple, seuls les hommes sont capables d'avoir ce rapport purement esthétique au monde. L'art nous prodigue un plaisir de contemplation désintéressée : nous ne cherchons ni à posséder quelque chose ni à satisfaire un besoin vital. [...]
[...] Il éveille en nous des instincts, des passions, des désirs inconscients qui nous amènent à créer des oeuvres en lien avec la complexité de notre vie intérieure. On peut relier cette conception de la transe à celle du génie, qui lorsqu'il compose, ne comprend pas toujours ce qui motive sa création. Or si cette part inconsciente de nous-mêmes s'éveille dans l'art, alors c'est bien que la création artistique nous sort de la réalité ordinaire, en nous arrachant à la fois au monde extérieur, mais aussi à notre monde psychique : l'art nous détourne de la réalité parce qu'il crée en nous des comportements anormaux, et nous dérobe à nous-mêmes jusqu'à brouiller la compréhension que nous avons de nos propres pensées. [...]
[...] Il s'agit au contraire d'instruments essentiels à la compréhension de la réalité, qui éclairent et précisent notre appréhension du monde extérieur et de la vie psychique. Profondément ancré dans le réel, l'art est un prisme de vérité sur le monde : c'est donc par lui et à travers lui que nous sommes à même d'y accéder de manière authentique. [...]
[...] Il rejoint en cela la rupture de notre rapport utilitaire au réel, mais va plus loin encore en nous révélant des choses invisibles ou cachées. C'est le but que poursuit Baudelaire dans son entreprise poétique : à l'aide du symbolisme, il prétend déceler des messages secrets de l'univers à travers ses écrits. La création artistique correspond donc à une redéfinition perpétuelle du réel et à une expansion de la réalité. L'art change le monde parce qu'il l'agrandit, le précise et dévoile ses mystères. [...]
[...] Oscar Wilde s'exprimera à propos de “cette blanche et frissonnante lumière” : “Les brouillards n'existèrent qu'au jour où l'art les inventa [ . ] avant Turner, il n'y avait pas de brouillard à Londres.” Cette amusante anecdote nous apprend que l'art, bien loin de nous détourner de la réalité, affine notre perception et parfois même découvre à nos yeux ce qui était invisible. L'art est donc l'outil des conquêtes sur le visible. Ainsi, l'art et la création artistique sont loin d'être des abstractions. [...]
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