Loin de moi l'idée aujourd'hui, en l'espace d'un temps aussi minuscule, d'exposer ce qu'il en de l'art aujourd'hui, de la philosophie de l'art, ou encore de ce que les artistes en pensent. Je prendrai le fil de la biennale de Venise et son thème pour parvenir à tracer quelques idées ou questionnements qui ne pourront être que des manières de penser l'art aujourd'hui que l'on peut prolonger et critiquer.
J'insiste sur cette idée de « manières de penser l'art aujourd'hui » car c'est l'écho même du thème de la Biennale de Venise que nous avons aperçue au cours de notre voyage : « Manières de faire / de construire des mondes ». Et plus qu'un écho, c'est à une véritable articulation du philosophique et de l'artistique que ce thème renvoie puisque le sens du titre puise son origine dans l'œuvre d'un philosophe anglo-saxon, Nelson Goodman (Manières de faire des mondes) : ce qui veut réaffirmer un lien profond entre la philosophie et l'art et qu'il faudra penser à travers cette séance.
[...] - l'art n'est au fond créateur de mondes que de manière analogique. C'est en un sens métaphorique pour donner à l'artiste une fonction autonome et en quelque sorte sacraliser le geste artistique. C'est pour donner à l'œuvre une certaine aura sui generis, pour elle-même. Au fond c'est une idée romantique construite à partir de l'idée d'un artiste renégat à la création divine, soit accomplissant par un talent qui en fait l'élu des Muses et des Dieux un génie. - L'art comme création serait la promotion exaltée de la tâche artistique. [...]
[...] Ainsi que Kant l'écrit, au 46 de La Critique du Jugement : Le mot génie est vraisemblablement dérivé de genius, l'esprit particulier donné à un homme à sa naissance pour le protéger et le diriger, et qui est la source de l'inspiration dont procèdent ses idées originales. L'œuvre d'art aurait donc une aura, une part divine d'ineffable qui tient aux mystères de son génie créateur. Ce serait l'enfant chéri des Dieux. Beauté, virtuosité technique, génie, voilà ce qui donne son autonomie à l'œuvre et son originalité. C'est cette part d'aura, au sens où W. [...]
[...] De même, à la Biennale de Venise, on entrait dans la transposition d'un atelier d'artiste. On jouait aussi dans une salle où l'on pouvait se suspendre à des cordes. Les frontières entre l'art et la vie se brouillent. Même l'idée que l'œuvre a une autonomie par rapport à l'artiste relève d'une abstraction philosophante. On ne dépasse pas parfois la simple performance. Ainsi du body art, des happening (ce qui est en train de se passer). L'artiste lui-même s'absente de son œuvre pour la laisser au spectateur. [...]
[...] L'art déjoue qu'on voudrait lui donner comme identité. Dès lors, il déstabilise le spectateur pour mieux jouer sur ce qu'il fait. En effet, en suivant le fil de cette comparaison avec le jeu vidéo, là où celui-ci nous donne à nous identifier à notre double numérique, l'art reste une mise en jeu qui n'est pas programmée totalement, qui relève d'une pratique dont la programmation peut être déjouée. Il y a une part de subversion toujours maintenue. On joue à croire et à faire croire pour interroger ce que nous sommes et non pour prolonger celui qu'on est. [...]
[...] Nous avons oublié la beauté des œuvres classiques. Ainsi, là où l'art réclamait un talent technique suprême, certains artistes s'évertuent à employer des moyens proches de l'enfance de l'art. Par exemple, le travail d'Annette Messager consiste à échafauder des structures en fils de laine ou même en peluches démembrées pour composer diverses automates ou manèges étranges, dont on n'aperçoit peu le sens à moins de le ramener à une quelconque démarche inconsciente de l'artiste elle-même. L'art a perdu de sa superbe. [...]
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