Beaucoup clament que « l'argent ne fait pas le bonheur », mais tous s'accordent pour voir dans la baisse du pouvoir d'achat une calamité. En outre, dans notre contexte de crise économique, on entend souvent des voix se désolidariser du malheur d'autrui, en imputant tout au concept vague de « la crise » ou en tenant chacun pour unique responsable de ses difficultés : l'argent ferait le bonheur des intelligents et le malheur des imbéciles.
Mais peut-on s'en tenir à cette position, qui pourrait légitimer les abus d'un libéralisme « sauvage » ? Quelle valeur accorder à l'argent dans la perspective de la quête du bonheur et dans notre jugement sur autrui? La formule est provocatrice et heurte l'opinion commune, en modulant l'idée selon laquelle « l'argent ne fait pas le bonheur » en fonction de catégories problématiques : qu'est-ce en effet que l'intelligence ? N'y a-t-il qu'un type d'intelligence ? Et le bonheur ? Nous présupposerons provisoirement que le bonheur est dans le pouvoir de satisfaire ses désirs et que l'argent en est donc un garant.
[...] Enfin, nous verrons que la thèse selon laquelle l'argent fait le bonheur des intelligents et le malheur des imbéciles peut être reçue, si l'on voit dans l'intelligence la capacité de ne pas faire dépendre son bonheur de l'argent. Entendons dans un premier temps le bonheur comme bonheur de la possession, comme le suggère la formulation même du sujet, afin de nous demander s'il existe un déterminisme causal entre intelligence et réussite économique. Il semblerait y avoir un certain type d'intelligence technique et pragmatique qui permette de faire fortune et pourrait donc apparaître comme garante du bonheur. [...]
[...] Le cas de Mazaud, dans L'Argent, qui s'est haussé au niveau des vastes cerveaux financiers par une opération imbécile en est la preuve. Le pendant négatif de la chance, la fatalité tragique, traverse également toute l'œuvre de Zola, traduite stylistiquement par des anticipations récurrentes et lexicalement par des termes tels péricliter «fatal culbuter Saccard est appelé homme d'inconscience et de catastrophe ce qui correspond précisément aux caractéristiques du héros tragique, soumis à son destin. L'intelligence pragmatique n'est ni une cause suffisante, ni une cause nécessaire du bonheur de la possession. [...]
[...] Il paraît donc plus exact d'affirmer qu'un rapport intelligent à l'argent favorise le bonheur, qui semble certes présupposer des conditions matérielles minimales, mais semble aussi volontiers se nourrir de valeurs humaines et morales. Ces conclusions établies dans la perspective de la philosophie morale et du bonheur individuel pourraient peut-être ensuite être considérées sous l'angle de la philosophie politique : le bonheur d'une société est-il davantage favorisé par la libéralité d'un État ou par des interventions politiques réfléchies ? Quel est le rapport optimal qu'un État peut avoir à l'économie dans la perspective du bonheur de ses citoyens ? [...]
[...] On pourrait enfin penser que l'argent apporte le bonheur de la liberté. Simmel explique en effet que l'argent étant une valeur arbitraire et abstraite, celui qui en a possède du même coup la liberté de choisir comment il va l'utiliser. Mais le corollaire du pouvoir malsain qu'a l'argent de susciter le désir est que le bonheur de la liberté procuré par l'argent n'est qu'illusoire. Même Saccard est forcé de le constater lorsqu'il voit à quel régime s'astreint Gundermann : Pourquoi cet or inutile ajouté à tant d'or, lorsqu'on ne peut acheter et manger dans la rue une livre de cerises, emmener à une guinguette du bord de l'eau la fille qui passe, jouir de tout ce qui se vend, de la paresse et de la liberté ? [...]
[...] L'argent fait-il le bonheur des intelligents et le malheur des imbéciles? Beaucoup clament que l'argent ne fait pas le bonheur mais tous s'accordent pour voir dans la baisse du pouvoir d'achat une calamité. En outre, dans notre contexte de crise économique, on entend souvent des voix se désolidariser du malheur d'autrui, en imputant tout au concept vague de la crise ou en tenant chacun pour unique responsable de ses difficultés : l'argent ferait le bonheur des intelligents et le malheur des imbéciles. [...]
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