En fait, si nous revenons aux expériences courantes, voire naïves, qu'exprime le terme de 'beau', nous retrouvons, sous une forme élémentaire et simple et non pas déduite intellectuellement, les deux catégories de beauté libre et de beauté adhérente. L'expérience du regard qui étonne ce qui, par sa diversité d'impressions ou sa richesse décorative, tranche avec l'aspect quelconque des choses habituelles et l'expérience du regard qui arrête, cette fois, la perfection de quelque chose.
Kant, en consacrant un long développement à la notion de 'beauté adhérente', reconnaissait la force de la relation entre beauté et perfection. En fait, cette relation qui semble, au regard de la sensibilité du dix-huitième siècle, apparaître au second plan (par rapport à celle de la beauté libre) est très profonde : c'est pourquoi on la voit constamment à l'œuvre dans l'architecture chaque fois que s'affirme l'unité et la simplicité des formes et des matériaux, contre le principe opposé de diversité, voire de profusion décorative : pensons par exemple à la reconnaissance unanime de la beauté architecturale des monastères cisterciens en Europe, ou de celle de l'architecture civile, religieuse et militaire almohade, toutes deux liées à des réformes religieuses prônant l'austérité et le dépouillement. Elle est aussi au cœur de tout le travail du design industriel au vingtième siècle.
[...] La force de cette relation trouve un témoignage dans l'étymologie des termes en latin et en grec. En latin, bellus signifie bon ('belle se habet', il se porte bien) avant de signifier 'joli'. Quant à l'adjectif qui signifie le beau dans toute sa force, pulcher, il a se dit, dans la langue archaïque, de l'animal de sacrifice quand il est sans tâche, sans défaut. En grec, kallos semble lié d'abord à la beauté du corps, puis des armes (chez Homère) mais très vite est inséparable de l'idée de bien fait, en bon état. [...]
[...] On peut dire que le sens donné à la beauté réside ici dans cette tension entre l'accomplissement parfait et sa fragilité temporelle. Il n'y aurait pas de beauté (mais seulement, pourrait-on dire, perfection) s'il n'y avait pas cette tension, essentielle au regard humain, comme regard habité par la mortalité (les hommes, pour les Grecs, sont les mortels Sens tragique accordé à la beauté, parce qu'en elle se répond, au coeur de l'existence humaine, le rapport à la plénitude et à l'accomplissement (qui dirige tout acte et tout regard humain) et la finitude. [...]
[...] Or, dans ses poèmes, Pindare ne cesse de dire que l'instant dieudonné de la gloire et de la victoire est éphémère, qu'il ne peut survenir, justement, que sous la forme d'un instant de grâce : Mais celui à qui un beau fait nouveau échoit en son ravissement, de son espérance s'envole sur ses prouesses ailées, ayant plus haut souci que la richesse. En peu de temps la joie des mortels grandit ; ainsi choit-elle aussi à terre abolie par une volonté adverse. Ephémères ! Être quelqu'un ? N'être personne ? Rêve d'une ombre Est l'homme. Mais quand un rayon dieudonné survient, Un vif éclat plane sur lui et un âge miellé (Huitième ode pythique). [...]
[...] Kant, en consacrant un long développement à la notion de 'beauté adhérente', reconnaissait la force de la relation entre beauté et perfection. En fait, cette relation qui semble, au regard de la sensibilité du dix-huitième siècle, apparaître au second plan (par rapport à celle de la beauté libre) est très profonde : c'est pourquoi on la voit constamment à l'œuvre dans l'architecture chaque fois que s'affirme l'unité et la simplicité des formes et des matériaux, contre le principe opposé de diversité, voire de profusion décorative : pensons par exemple à la reconnaissance unanime de la beauté architecturale des monastères cisterciens en Europe, ou de celle de l'architecture civile, religieuse et militaire almohade, toutes deux liées à des réformes religieuses prônant l'austérité et le dépouillement. [...]
[...] Dans l'hymne homérique à Aphrodite, la déesse quitte nécessairement le beau et jeune mortel à qui elle a accordé ses faveurs : car il ne va pas tarder à vieillir, à atteindre l'âge indigent, misérable, qui est haï des dieux (v. 244-246, cité par W. Otto, Les dieux de la Grèce, Payot, p. 152). De même la nymphe Calypso ne peut garder auprès d'elle Ulysse, qu'elle aime, que s'il accepte de devenir immortel : ce qu'Ulysse refuse, préférant revenir dans son île, auprès de son épouse qui a vieilli à l'attendre auprès du foyer. [...]
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