Dans la thèse qui l'a rendu célèbre, publiée sous le titre l'Espace public (1962), Jürgen Habermas prétendait faire une « archéologie de la Publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise » ; mais au delà de l'apparence de pure analyse historico-sociologique que donne ce sous-titre à l'œuvre, celle-ci se révèle à la lecture être également une puissante critique des médias et productions culturelles modernes. En effet, après avoir expliqué les modalités de l'avènement de la Publicité (Publizität), comme instance critique de la culture et de la politique au sein de la sphère publique bourgeoise au dix-huitième siècle, Habermas analyse le processus de « reféodalisation » de la sphère publique par la pénétration des intérêts privés dans l'espace public. Or ce recul de la Publicité comme instance de critique rationnelle passe largement par le biais des médias modernes dont le développement commence avec la presse de masse au dix-neuvième siècle et se poursuit avec les médias audio-visuels au vingtième siècle. De plus, selon l'auteur, l'élargissement continuel du public allant jusqu'à atteindre la totalité de la société dans les démocraties de masse au vingtième siècle s'est accompagné d'une évolution des biens culturels, ceux-ci s'adaptant à leur nouveau public massif, dans le sens d'une facilité toujours croissante. En retraçant cette évolution parallèle du public et des biens culturels, l'un devenant de plus en plus nombreux, les autres de plus en plus « accessibles » psychologiquement parlant, Habermas pointe du doigt l'ère de la culture de masse, où de « critiquée »qu'elle était, la culture n'est plus que « consommée » comme n'importe quel autre bien de consommation. Et si Habermas traite de bien d'autres points dans son ouvrage, notamment des répercussions politiques d'un tel processus, nous nous cantonnerons ici à l'étude de ce qui est aujourd'hui entendu par « espace public », et du problème des biens culturels à l'ère des masses, à travers des articles de la presse quotidienne et hebdomadaire.
On se demandera donc dans quelle mesure le mouvement historique de grande ampleur dont parle Habermas est vérifié par l'actualité récente. Dans un premier temps on comparera ce que la presse d'aujourd'hui appelle « espace public » avec ce qu'entend Habermas par cette expression, on se demandera ensuite si l'évolution de publics particuliers (manifestations culturelles) dont traite la presse vérifie l'analyse d'Habermas selon laquelle l'élargissement du public s'accompagne d'une « facilitation psychologique » de la culture, et enfin on étudiera ce qu'entendent les journalistes par « consommation culturelle » par rapport à l'idée d'une « culture consommée » chez Habermas.
L'étude présente est basée sur un corpus de neuf articles tirés des journaux Le Point, Le Figaro, Le Monde, Le Temps, Libération et de l'Agence France Presse, regroupés par trois autour des trois thèmes que nous venons d'évoquer. Les articles sont regroupés en annexes dans l'ordre où ils seront abordés.
[...] Mais le Louvre ne s'en tient pas aux traditionnelles incitations économiques pour attirer dans ses salles un public plus diversifié. L'encadré le Louvre astucieux (un vrai régal) nous fait part de quelques commodités mises, par le Louvre, à disposition du public, d'ordre pratique s'entend mais qui ne vont pas sans une facilitation psychologique au sens habermassien. Pour venir avec bébé : le musée prête des poussettes et des chauffe-biberons : jusqu'aux jeunes mamans peuvent dorénavant faire partie du public Pour les enfants, utiliser les épatants itinéraires “Chercheur d'art” et carnets d'Ulysse” : ne doutons pas un seul instant de la pré-mastication érudite à destination des supposées graines d'esthètes. [...]
[...] On se demandera donc dans quelle mesure le mouvement historique de grande ampleur dont parle Habermas est vérifié par l'actualité récente. Dans un premier temps on comparera ce que la presse d'aujourd'hui appelle espace public avec ce qu'entend Habermas par cette expression, on se demandera ensuite si l'évolution de publics particuliers (manifestations culturelles) dont traite la presse vérifie l'analyse d'Habermas selon laquelle l'élargissement du public s'accompagne d'une facilitation psychologique de la culture, et enfin on étudiera ce qu'entendent les journalistes par consommation culturelle par rapport à l'idée d'une culture consommée chez Habermas. [...]
[...] Interrogé sur l'évolution du public de la Maison des cultures du monde, du Festival des arts traditionnels et de ce festival, qu'il a dirigés, Chérif Khaznadar répond qu' il est de plus en plus nombreux, se rajeunit et se diversifie Jusqu'ici, le constat semble tout à fait positif, puisque qui irait s'indigner de ce qu'un nombre croissant de personnes, et de plus en plus jeunes, mettent de côté leurs habitudes pour s'intéresser aux cultures lointaines et s'en enrichir ? Mais là où le bât blesse est qu'Habermas, avec son sinistre diagnostique, semble ici avoir raison quand il dit que l'élargissement du public s'accompagne d'une facilitation psychologique de l'accès à la culture. En présentant certaines de ces expressions hors de leur environnement, le risque n'est-il pas d'en faire des caricatures involontaires ? demande le journaliste. A quoi le directeur du festival répond : C'est un danger qu'il ne faut jamais minimiser. Nous en avons toujours été conscients. [...]
[...] Mais faut-il pour autant condamner l'ensemble du processus, la déperdition de la qualité des œuvres dans leur nouvelle présentation ne pouvant être compensée par leur plus large contemplation ? La question est complexe, engage des valeurs, et ne peut être traitée ici en quelques lignes. Nous la laisserons donc de côté, malgré son intérêt. Quoi qu'il en soit, pour conclure sur l'évolution du public, on dira sans hésiter que l'évolution des publics des manifestations culturelles, telle qu'en rendent compte les articles de presse, confirme tout à fait à un niveau particulier le diagnostic général d'Habermas. [...]
[...] Un premier point intéressant est l'explication du basculement de N. Creutz dans le camp des pottermanes : Qu'est-ce qui a donc changé ? le spectacle ou le spectateur ? Comme souvent dans ces cas-là, les deux sans doute. En expansion continuelle, l'univers imaginé par J.K. Rowling est déjà de nature à gagner de nouveaux adeptes. [...]
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