La poésie de l'opéra de Bizet, Carmen, évoque les paradoxes de l'amour : on perçoit un enjeu sociologique ample, complexe. C'est la place immense qu'occupe l'amour dans le champ artistique, sujet rebattu par des millénaires de créations, et qui trouve peut-être son point d'orgue dans le sentimentalisme écoeurant de la scène musicale actuelle. On joue l'amour, on chante l'amour, on peint, on filme l'amour ; bref, on en parle, on veut savoir « ce qu'on aime quand on aime », en espérant peut-être arraisonner une force qui bien souvent se joue de nous. Entreprendre une telle tâche, c'est risquer de tomber dans le ridicule du lieu-commun, ou dans la profanation. L'oeil du chercheur est balourd, sacrilège, il est intimidé par ce qui parait se dérober à la connaissance scientifique, se réservant à la métaphore artistique (...)
[...] Des bornes. Ainsi l'amour c'est la transcendance, c'est ce qui élève l'humain loin au-dessus de sa faiblesse. Dans l'amour, nous trouvons la force de dépasser la mort, nous trouvons un sens à nos vies, nous trouvons l'expression de notre liberté. L'amour est coercitif. La force qu'exerce l'amour sur un cerveau, un corps, une vie, modifie radicalement le peu d'objectivité dont nous disposons à l'origine : aimer, c'est penser, c'est être persuadé qu'on est dans le vrai. Cette force nous tombe dessus nous ne la provoquons pas ; aussi est-il difficile de reprocher à un homme de simplement aimer. [...]
[...] Nous avons précédemment décrit le pouvoir de l'amour comme terriblement influent ; le problème est de savoir pourquoi nous acceptons de nous soumettre, ou encore si cette soumission est éthiquement acceptable. Certains symptômes de l'amour sont reconnaissables entre tous, comme la violence du ressenti, ou la dépendance à l'autre, qui peut se traduire dans une douloureuse sensation de manque. En de nombreux points, la passion amoureuse agit comme une drogue. Cette tyrannie du sentiment amoureux colore la relation d'un nouveau piquant, l'appartenance, où le don de soit est pris à la lettre. Bien évidemment, nous ne possédons pas l'autre au sens où nous possédons un objet. [...]
[...] Ce que nous aimons, c'est la manière dont cette essence se révèle, dans le temps et l'expérience. De là peut naître la déception, lorsque nous attendions mieux de l'autre, mais naît aussi l'imprévu, le mystère : nous n'aimons pas une chose limpide, prévisible. Nous parlions un peu plus haut du don de soi ; il passe aussi par la remise en question et le pardon. Il n'y a pas, comme l'évoque le personnage d'Aristophane dans le Phèdre de Platon, deux moitiés parfaites d'un androgyne qui se cherchent. [...]
[...] Ce que nous aimons, c'est cette femme brune, unique dans sa démarche, l'intonation de sa voix, l'odeur de sa peau ; cette femme qui nous a marqué. L'amour s'ancre dans le réel, dans un concret qui nous frappe. Il n'y a pas d'amour en idée, en concept. Ce que nous aimons quand nous aimons, c'est cette violence matérielle d'une réalité qui s'impose. Et cette attirance, nous n'en sommes pas les maîtres ; elle résulte d'un mécanisme psychologique complexe fait de besoins inavoués, de frustration, et d'une grande part de hasard. [...]
[...] Nous l'avons vu, l'amour interhumain place l'enjeu du plaisir sur un autre plan, assez paradoxal. Ce plaisir n'est véritablement bon que s'il est partagé, que s'il est le fait d'une relation privilégiée. L'importance que nous conférons à l'être aimé, et surtout l'ampleur de la réciprocité et du partage, font de cet amour une véritable force, dont il nous revient de considérer les bornes. Le mot de Kierkegaard dans son Journal du Séducteur, peut être d'un certain secours : Qu'aime l'amour ? L'infinité. Que craint l'amour ? [...]
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