« Peace and love » disaient les hippies des années soixante, en offrant des fleurs aux passants dans la rue. Mais on se moquait un peu de leur amour naïf des autres, comme s'il était si difficile d'aimer l'humanité des autres. En réalité, nous avions bien conscience de la difficulté : comment faire pour que l'amour de l'humanité, qui ne nous est pas spontané, devienne en nous comme une seconde nature ? Car s'il suffisait de le proclamer haut et fort pour que pour que les humains acceptent de s'aimer les uns les autres, alors la question ne se poserait même pas. Voilà pourquoi nous avons de prime abord toutes les raisons de penser que cet amour est artificiel en montrant tout ce qui sépare et éloigne les humains les uns des autres. Devons-nous pour autant en déduire que cet amour est une illusion ou bien ne devons nous pas au contraire nous le commander comme une forme de devoir sacré ? Mais est-ce suffisant : n'y a-t-il pas encore une autre façon de nous rendre l'humanité aimable ?
[...] Son pessimisme pourtant n'est pas seulement fondé sur l'observation de l'histoire car il s'appuie aussi sur une théorie de la nature humaine. L'humanisme moderne de la Renaissance s'est constitué, en effet, sur la base d'une anthropologie implicite, que l'hypothèse de l'état de nature exprime bien. Hobbes l'affirme avec force dans son Léviathan quand il décrit l'état naturel de l'humanité sous des couleurs sombres et terribles. Il n'y est question que de guerre, mot récurrent dans le chapitre XIII, parce que les humains trouvent dans l'égalité de leur condition naturelle tous les ingrédients nécessaires à une perpétuelle rivalité. [...]
[...] Mais pour en déduire que l'amour de l'humanité est un devoir sacré. Une autre formule rend cet ordre plus compréhensible : Aime ton prochain comme toi- même Cela ne signifie pas seulement que nous avons l'obligation morale de nous aimer, mais encore que nous ne pouvons réellement nous aimer qu'en faisant du plus lointain le plus proche, de l'étranger le familier, de l'humanité un prolongement de nous-mêmes. Alors, il est bien vrai que l'amour de l'humanité n'est plus naturel parce qu'il va à l'encontre de la nature humaine, nous faisant un devoir d'aimer les autres quand la nature nous pousse au contraire à les fuir. [...]
[...] D'une autre manière, Kant, sans verser dans l'optimisme des Lumières quant à la bonté humaine, n'en affirme pas moins que nous avons le devoir moral d'aimer l'humanité des autres, même si cet amour semble désincarné. Devons-nous donc aimer les autres et comme forcer notre nature ? Ce serait sans penser aux expériences multiples qui montrent au contraire que nous nous aimons les uns les autres chaque fois que nous découvrons notre commune appartenance à la même humanité. Mais rien n'est jamais acquis, l'amour de l'humanité non plus. N'est-ce pas ainsi que nous sommes humains en étant fragiles et faibles ? [...]
[...] L'amour de l'humanité nous est-il naturel ? Peace and love disaient les hippies des années soixante, en offrant des fleurs aux passants dans la rue. Mais on se moquait un peu de leur amour naïf des autres, comme s'il était si difficile d'aimer l'humanité des autres. En réalité, nous avions bien conscience de la difficulté : comment faire pour que l'amour de l'humanité, qui ne nous est pas spontané, devienne en nous comme une seconde nature ? Car s'il suffisait de le proclamer haut et fort pour que pour que les humains acceptent de s'aimer les uns les autres, alors la question ne se poserait même pas. [...]
[...] Ce moyen terme s'appelle la culture ou plutôt la civilisation. Le mot civilisation est d'usage récent dans la langue française (il apparaît au XVIIIe siècle). Le français désigne par là le mouvement, à la fois culturel, social, économique, politique, par lequel les humains sont conduits à quitter un état de nature, marqué par la rudesse, la sauvagerie (au sens étymologique salvaticus vient de silva, forêt de leurs mœurs, pour entrer dans un état civil ou civique (les deux mots viennent du latin civis, citoyen où, au contraire ce sont les règles du vivre ensemble qui leur dictent leurs comportements. [...]
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