A première vue, nous ne connaissons personne mieux que nos amis, à part nous-mêmes bien entendu. Toutefois, il nous arrive aussi de nous tromper dans nos amitiés. Or quand l'amitié se brise, nous disons souvent « je le croyais mon ami », nous avouons qu'au fond nous le connaissions mal. Le problème se pose donc de savoir si l'amitié est une forme bien privilégiée de la connaissance d'autrui, et même si elle en est une forme de connaissance tout court.
Il ne va pas de soi que l'amitié soit en quelque manière une connaissance d'autrui.
Dans l'Ethique à Nicomaque, Aristote définit l'amitié comme une « bienveillance réciproque », et en distingue trois sortes selon leurs motifs respectifs, à savoir le plaisir, l'utilité ou le bien moral, lequel définit l'amitié parfaite. L'amitié n'est donc pas alors une forme de connaissance d'autrui, mais elle « naît des qualités identiques et semblables qui existent chez les deux amis » et d'une communauté d'intérêts. En d'autres termes, ce n'est pas l'amitié qui m'ouvre la voie de la connaissance d'autrui, mais c'est la reconnaissance d'autrui comme semblable à moi qui ouvre la voie à l'amitié : je ne connais pas autrui parce que je l'aime, mais je l'aime parce que je le connais. L'amitié n'est pas une forme de connaissance, elle en est le résultat.
[...] L'amitié est-elle une forme privilégiée de la connaissance d'autrui ? A première vue, nous ne connaissons personne mieux que nos amis, à part nous-mêmes bien entendu. Toutefois, il nous arrive aussi de nous tromper dans nos amitiés. Or quand l'amitié se brise, nous disons souvent je le croyais mon ami nous avouons qu'au fond nous le connaissions mal. Le problème se pose donc de savoir si l'amitié est une forme bien privilégiée de la connaissance d'autrui, et même si elle en est une forme de connaissance tout court. [...]
[...] Mais ce sentiment de parfaite transparence, qui nous fait croire que l'amitié est la forme privilégiée de la connaissance d'autrui, pourrait bien n'être qu'une illusion. Toutefois, même si la sympathie qui anime l'amitié n'est pas une connaissance intuitive, du moins est-elle un mouvement qui m'oriente vers autrui et m'entraîne vers lui : par là, elle se rattache à la pensée organisatrice de l'avenir et, en ce sens, elle est bien une source du savoir et une fonction de la connaissance. [...]
[...] Si toute connaissance relevait uniquement de l'intelligence, le sphex aurait à apprendre une à une, comme l'entomologiste, la position des centre nerveux de la chenille [ mais il n'en serait plus de même si l'on supposait entre le sphex et sa victime une sympathie (au sens étymologique du mot) qui le renseignât du dedans, pour ainsi dire, sur la vulnérabilité de la chenille Ainsi le sphex saisit-il le système nerveux de la chenille du dedans, tout autrement que par un processus de connaissance, par une intuition (vécue plutôt que représentée) qui ressemble sans doute à ce qui s'appelle chez nous sympathie divinatrice (L'Evolution créatrice). Ainsi, selon Bergson, l'instinct est sympathie et lorsque cette sympathie devient consciente d'elle-même, elle est intuition. Dans ces conditions l'amitié, fondée sur la sympathie, serait bien une forme privilégiée - de la connaissance d'autrui. [...]
[...] La sympathie implique en effet l'intention de ressentir ce que l'autre sent. Elle exige donc que l'autre soit posé en tant qu'autre. Dès lors elle ouvre non sur la connaissance de ce qu'est l'autre, mais sur la reconnaissance de l'existence indépendante de l'autre. Elle détruit ainsi l'illusion du solipsisme. Sa fonction, écrit Max Scheler, consiste moins à nous fournir une connaissance positive [ ] qu'à supprimer une illusion qui fait partie intégrante de notre conception primitive du monde. Elle supprime cette illusion naturelle que j'appellerai égocentrisme. [...]
[...] La véritable amitié n'est pas liée au plaisir, elle n'est pas l'amour, celui de l'affectation envers les femmes que cette dernière soit passion ou simple désir. La véritable amitié n'est pas non plus fondée sur l'utilité et l'intérêt ; elle ne se confond pas avec ces accointances et familiarités nouées par quelque occasion ou commodité, par le moyen de laquelle nos âmes s'entretiennent Alors qu'est-elle donc ? La véritable amitié, nous dit Montaigne, n'est pas un commerce entre deux personnes séparées, car dans l'amitié, il n'y a plus de séparation (d'esprit, sinon de corps) entre les amis : dans la véritable amitié, les âmes des amis ne s'entretiennent pas, elles se mêlent et confondent l'une en l'autre, d'un mélange si universel, qu'elles effacent et ne retrouvent plus la couture qui les a jointes C'est dans cette fusion même des âmes que l'amitié se nourrit de communication et celle-ci est communication réciproque des plus secrètes pensées Evoquant La Boëtie, Montaigne nous explique : Aucune de ses actions ne me saurait être présentée, quelque visage qu'elle eût, que je n'en trouvasse incontinent le ressort. [...]
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