Les philosophies de l'existence ont pris conscience que l'homme occidental a perdu un certain sens de l'absolu, fondateur de culture et de science. Les évidences du passé (la nature, Dieu, la raison) sont devenues non évidentes pour nous, d'où l'apparition d'un malaise profond de l'homme contemporain qui ne trouve plus de sens à sa souffrance. Celui-ci se demande alors s'il est né pour autre chose que pour mourir. Selon le philosophe de l'existence, le monde est devenu insensé et étranger ; nous n'en voyons plus la nécessité et l'homme ne se sent plus appelé. Il ne sait pas à quoi il répond, il existe de manière contingente.
D'après Jean Wahl, nous nous éprouvons nous-mêmes « comme étant là, dans le monde, délaissés, sans secours et sans recours ; nous sommes jetés dans ce monde sans que nous en percevions la raison. C'est ici une des affirmations fondamentales de la philosophie de l'existence : nous sommes sans que nous trouvions de raison à notre existence [...]. L'existence de cet être jeté dans le monde qu'est l'homme est en même temps essentiellement finie, limitée par la mort [...] » .
Partant de la constatation analogue d'une absence de signification évidente et immédiate de l'homme et de son rapport au monde, Camus va s'opposer aux philosophes de l'existence et, en particulier, à Kierkegaard . En effet, Camus leur adresse le reproche suivant : « Pour m'en tenir aux philosophies existentielles, je vois que toutes, sans exception, me proposent l'évasion. Par un raisonnement singulier, partis de l'absurde sur les décombres de la raison, dans un univers fermé et limité à l'humain, ils divinisent ce qui les écrase et trouvent une raison d'espérer dans ce qui les démunit. Cet espoir forcé est chez tous d'essence religieuse. »
Si Camus partage le point de départ de Kierkegaard, à savoir la découverte de l'absurde au sein d'un monde fini et limité, il n'accepte pas la conclusion de ce dernier qui trouve un réconfort et une solution dans l'espoir en Dieu. Prenant le contre-pied de cette position, Camus va préconiser les vertus de la révolte et la fidélité à l'absurde.
L'enjeu est donc de taille, puisqu'il s'agit, dans l'optique de Camus, soit de vivre, dans l'espérance de Dieu, en fonction de l'avenir et de mépriser le présent et les valeurs humaines, soit, au contraire, de vivre dans le présent et de mettre au centre les valeurs humaines, terrestres afin de rendre toute sa dignité à l'homme.
[...] ] je dois reconnaître que cette lutte suppose l'absence totale d'espoir (qui n'a rien à voir avec le désespoir), le refus continuel (qu'on ne doit pas confondre avec le renoncement) et l'insatisfaction constante (que l'on ne saurait assimiler à l'inquiétude juvénile). Tout ce qui détruit, escamote ou subtilise ces exigences (et en premier lieu le consentement qui détruit le divorce) ruine l'absurde et dévalorise l'attitude qu'on peut alors proposer. L'absurde n'a de sens que dans la mesure où l'on n'y consent pas. Nous allons donc tenter de cerner la notion de révolte de manière assez succincte et surtout nous attacher à déceler les enjeux d'une telle position afin de les confronter avec les conséquences et implications de la philosophie kierkegardienne. [...]
[...] Nous laisserons de côté les critiques adressées par Camus à Jaspers, Chestov et Husserl pour consacrer notre étude à la comparaison des philosophies camusienne et kierkegaardienne. [5]Camus, Albert, Le mythe de Sisyphe, Paris, Gallimard p [6]Id p [7]Id p [8]Id p [9]Id p Id p Id p.33 [12]Id p [13]Id p [14]Id p [15]Id p [16]Id p [17]Nous verrons pourquoi il faut maintenir envers et contre tout l'absurde lorsque nous examinerons la seule solution logique proposée par Camus : la révolte [18]Nous nous plaçons ici dans l'optique de Camus et ne pénétrons par conséquent pas dans la philosophie même de Kierkegaard qui dépasse largement le cadre de ce travail. [...]
[...] Albert Camus : Du rejet de Dieu à l'affirmation de l'homme O mon âme, n'aspire pas à la vie immortelle, mais épuise le champ du possible. Pindare, 3e Pythique Les philosophies de l'existence[1]ont pris conscience que l'homme occidental a perdu un certain sens de l'absolu, fondateur de culture et de science. Les évidences du passé (la nature, Dieu, la raison) sont devenues non évidentes pour nous, d'où l'apparition d'un malaise profond de l'homme contemporain qui ne trouve plus de sens à sa souffrance. [...]
[...] Il s'agit de mourir irréconcilié. La vraie révolte dit oui à l'homme dans son actuelle dimension et non à tout ce qui dépasse dans l'ordre du temps (avenir) ou celui de l'intemporel (transcendance) ; elle s'affirme donc dans l'équilibre d'un oui et d'un non et n'attend aucune compensation de son effort lucide, car elle est sans espoir. L'une des seules positions philosophiques cohérentes c'est ainsi la révolte. Elle est confrontement perpétuel de l'homme et de sa propre obscurité. Elle est exigence d'une impossible transparence [ . [...]
[...] Or, pour ne pas espérer, il faut fuir toute explication qui rattache le monde à un principe supérieur. Ce monde est le seul qui soit à la dimension de l'homme et, en conséquence, il faut résister à ce qui nous pousse à nous évader de notre existence concrète, soit par le suicide, soit par l'espérance du futur : Je ne sais pas si ce monde a un sens qui le dépasse. Mais je sais que je ne connais pas ce sens est qu'il m'est impossible pour le moment de le connaître. [...]
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