"Interprétation", terme polysémique, désigne d'une manière générale le processus par lequel l'individu parvient à donner un sens clair à une idée auparavant obscure ou confuse. Outil fréquent en arts et en lettres (un musicien ou un acteur "interprètent" un morceau ou un rôle, le traducteur "interprète" dans une langue les propos tenus dans une autre, un commentateur "interprète" le texte qu'il explique), l'interprétation embarrasse la science, qui la rejette par principe : elle se présente en effet comme toujours subjective, puisque c'est l'individu qui donne (qui projette sur l'objet) un sens peut-être partiel ou discutable. Un astrologue peut "interpréter" les positions des étoiles pour "lire l'avenir", mais ce faisant il n'étudie pas l'astronomie (...)
[...] Je ne le vois jamais en même temps de partout, et jamais les faces visibles ne sont colorées de même en même temps, pas plus du reste que je ne les vois égales en même temps. Mais pourtant c'est un cube que je vois, à faces égales, et toutes également blanches. [ . ] Revenons à ce dé. Je reconnais six taches noires sur une des faces. On ne fera pas difficulté d'admettre que c'est là une opération d'entendement, dont les sens fournissent seulement la matière. [...]
[...] Alain, Représentation du monde Commentaire semi-rédigé d'un extrait de Représentation du Monde, d'Alain, montrant que la perception est une construction de l'esprit. Texte étudié On soutient communément que c'est le toucher qui nous instruit, et par constatation pure et simple, sans aucune interprétation. Mais il n'en est rien. Je ne touche pas ce dé cubique. Non. Je touche successivement des arêtes, des pointes, des plans durs et lisses, et réunissant toutes ces apparences en un seul objet, je juge que cet objet est cubique. [...]
[...] Un astrologue peut "interpréter" les positions des étoiles pour "lire l'avenir", mais ce faisant il n'étudie pas l'astronomie. "Entendement" désigne, dans la langue cartésienne, la faculté de comprendre (de saisir par l'esprit), par opposition à la seule faculté de percevoir (de saisir par les sens), et à l'imagination, faculté de concevoir des images. Plus tard, Kant a opposé entendement et raison, la seconde permettant d'atteindre, au-delà de la simple compréhension, la connaissance. L'entendement se présente donc comme la faculté d'ordonner des sensations confuses. [...]
[...] Il est clair que, parcourant ces taches noires, et retenant l'ordre et la place de chacune, je forme enfin, et non sans peine au commencement, l'idée qu'elles sont six, c'est-à-dire deux fois trois, qui font cinq et un. Apercevez-vous la ressemblance entre cette action de compter et cette autre opération par laquelle je reconnais que des apparences successives, pour la main et pour l'œil me font connaître un cube ? Par où il apparaîtrait que la perception est déjà une fonction d'entendement [ . ] et que l'esprit le plus raisonnable y met de lui-même bien plus qu'il ne croit. [ . ] Et nous voilà déjà mis en garde [ . (Alain, Représentation du monde) 1. [...]
[...] Enfin, le concept intelligible ainsi dégagé de sa gangue de sensations brutes, qu'il dépasse et recueille à la fois, je peux le saisir par l'entendement et réinterpréter (re-connaître) mes sensations initiales pour associer à ce concept une propriété : ainsi je juge que "ce dé est cubique" et que "ces taches sont six". J'atteins de la sorte une idée intellectuelle différente par nature des données sensuelles, mais par laquelle je les connais une seconde fois. Dans les deux cas, les organes des sens livrent la "matière" de l'idée, son "fond", mais sa structure, sa "forme", elle, provient de l'esprit. La perception, c'est-à-dire cette série d'opérations (sensations, conception, intellection) constitue donc, conclut Alain, une fonction de l'entendement ; et elle ne diffère pas fondamentalement du processus d'abstraction mathématique. [...]
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