La parole est en ce sens fortement connotée de bluff, voire traîtrise ou simplement mensonge. Pourtant opposer radicalement l'un à l'autre est paradoxal si l'on songe que toute parole est un acte, en tant qu'elle crée un espace relationnel, humain, et bien souvent le modifie.
Dès lors on doit s'interroger sur le sens du terme "agir", peut-être trop restrictif dans sa compréhension la plus immédiate, lorsqu'il suggère uniquement l'acte concret, tangible : matérialisé. N'est-ce pas une fausse compréhension de la notion d'agir qui explique le soupçon porté à l'encontre des "intellectuels", ceux qui "causent mais agissent peu" ? Il s'agit donc de définir ce qu'est, pour l'homme, "agir" (...)
[...] L'animal lui aussi peut parfois par son action transformer le réel qui l'environne mais il ne sait pas qu'il le transforme , il ne le fait pas en conscience, et ne choisit pas le sens et la portée de ses actes. Agir n'implique donc aucune disparition de la conscience. Or la conscience suppose l'exercice d'une parole intérieure, qui accompagne le comportement agissant. Le langage est donc condition de l'action. L'action qui se situe hors langage est soit une réaction (réflexe) soit violence. Mais la violence est l'échec, non seulement de la communication, mais de l'action "normale". La fonction du langage est précisément d'empêcher l'irruption de la violence. [...]
[...] Et la réaction caractérise non pas l'action humaine mais l'action animale. Car agir n'est pas simplement "bouger" ou faire quelque chose : c'est le faire consciemment. c'est-à- dire en sachant qu'on le fait et pourquoi on le fait, donc en ayant conscience d'une finalité qu'on cherche à atteindre, et de différents moyens possibles de l'atteindre (il y a donc choix quand il y a action, donc réflexion). L'action très concrète du menuisier ou du plombier n'est absolument pas un acte automatique ou réflexe : toute action humaine est réfléchie et consciente, spécifiquement humaine, fait appel à l'intelligence et au choix (les animaux n'ont pas de boîte à outils, qu'ils s'agissent des mots comme outils que l'on peut agencer syntaxiquement pour construire une phrase ou que ce soit des outils au sens propres, c'est-à-dire une boîte d'outils divers parmi lesquels l'homme choisit lesquels sont adaptés à la fin qu'il se propose). [...]
[...] Plus encore en parlant avec quelqu'un que je connais : je peux le blesser, ou l'aider moralement. Mon silence sera ressenti comme tact ou comme indifférence, parler sera insolence ou politesse, je peux briser la communication ou au contraire la sauver, en choisissant de parler ou de me taire. La parole peut même guérir (efficacité thérapeutique avec la psychanalyse) ou séduire (pouvoir charismatique) ou agir politiquement (un discours politique peut contribuer à clarifier l'opinion et l'histoire), ou encore manipuler La parole n'est donc pas "le contraire" d'agir mais est en elle-même un acte. [...]
[...] Il peut parler et même se saouler de mots . Agir et parler ne sont donc pas une seule et même chose et plus encore, les paroles peuvent mentir sur mon acte, ou le masquer, ou inventer un acte que je n'ai pas fait -Le langage re-présente le réel : la question est donc de savoir si cette représentation peut être comprise comme une action. La re- présentation linguistique a t-elle la capacité de transformer la réalité L'existence même du mensonge semble prouver que oui : en effet mentir efficacement, c'est-à-dire persuader l'interlocuteur d'une non-vérité, c'est changer sa position par rapport au monde, lui fournir une version modifiée du monde. [...]
[...] Le langage peut mentir, ou induire en erreur. Il n'est pas une copie de l'acte mais l'expression de la manière dont cet acte est vécu, pensé et compris par la personne, ou de ce que cette personne veut signifier. Cette dimension intentionnelle du langage humain introduit un large espace de liberté et de confusion possible pour l'interlocuteur. Il est en ce sens une expression subjective alors que l'acte, lui, nous est donné dans sa dimension objective : c'est un fait langage : distance par rapport au réel Agir, c'est être en prise directe sur le réel, pour le transformer. [...]
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