Bien qu'il ne fasse jamais référence à l'oeuvre de René Girard, les analyses de Giorgio Agamben la recoupent en de nombreux points, notamment dans celui de l'intime conviction que le sacré, le droit et la violence sont fondamentalement liés. Si pour Agamben la violence réside dans la violence du fondement, c'est-à-dire dans la séparation de l'homme en puissance à l'homme à l'acte qui ouvre une zone d'indistinction, le ban, dans laquelle la vie nue de l'homo sacer est exposée au pouvoir de mort entre autre du souverain, pour Girard, la violence résulte du désir mimétique.
En effet la violence se développe lorsque les sujets antagonistes désirent le même objet, ce dans une relation symétrique où les différences entre les sujets s'estompe dans une escalade de la violence. La relation conflictuelle est en effet d'autant plus violente que les protagonistes sont semblables, le cas des frères ennemis ou de la guerre civile sont ici des exemples probants que Girard met en exergue et qu'il illustre avec la tragédie. Or la crise sacrificielle aboutit au meurtre d'un individu, le bouc émissaire, afin d'amener la paix, or les mythes et les rites religieux vont répéter ce crime afin de conjurer la violence (...)
[...] C'est ainsi que Bodin, le plus subtil des théoriciens de la vie moderne, peut interpréter la maxime qui, selon Kantorowicz, exprime la perpétuité du pouvoir politique, en la référant plutôt à sa nature absolue : C'est pourquoi écrit-il dans le sixième livre de la République on dit en ce royaume que le roy ne meurt jamais : qui est un proverbe ancien, qui montre bien que le royaume ne fut oncques électif ; et qu'il ne tient son sceptre du Pape, ny de l'Archevecque de Rheims, ny du peuple, ains de Dieu seul. (Agamben, Homo sacer, p.111-112). Le pouvoir du souverain est donc absolu parce qu'il le tient de Dieu et consiste à pouvoir exclure et mettre à mort. Ici cependant Agamben ne souligne pas le fait que précisément Louis XVI ne faut pas condamné par un tribunal ordinaire, comme ce fut le cas pour Marie-Antoinette, mais par la Convention nationale. [...]
[...] Cette complicité secrète entre le bourreau et le souverain révèle la violence qui est la source de tout pouvoir souverain, dissimulée par des mythes de toute sorte. Archéologie de la violence et fiction du contrat social En faisant du lien entre l'homo sacer et le souverain le lieu originaire (le ban) à partir duquel il faut penser le politique, Agamben réexamine à travers ce prisme la fondation de l'Etat à partir de l'Etat de nature telle qu'elle est exposée chez Hobbes. [...]
[...] Elle veut au contraire le laisser aller, s'en libérer, pour accéder, au-delà ou au-deçà de lui, à ce qui n'a jamais été, à ce qui n'a jamais été voulu. C'est seulement là que la passé non vécu se révèle pour ce qu'il était : contemporain au présent, et devient de cette manière pour la première fois accessible, se présente comme "source". Agamben, Signatura Rerum, p.118- 119. [...]
[...] Or, si pour René Girard, qui reprend aussi le terme de sacer, le langage du pur sacré permet d' extirper de l'homme sa violence afin de la poser en entité séparée, pour Agamben la violence originelle est toujours présente dans le sacré car la religion constitue la séparation et donc la violence primordiale. Alors que le bouc émissaire permet selon Girard la suspension de la violence, l'homo sacer constitue selon Agamben le révélateur de la violence originaire à travers laquelle se constitue toute dimension politique. L'homo sacer présenterait la figure originaire de la vie prise dans le ban souverain et garderait ainsi la mémoire de l'exclusion originaire à travers laquelle s'est formée la dimension politique. [...]
[...] Selon Agamben le sacré est donc le lieu d'exception sur lequel se cristallise le droit et l'homo sacer constitue la figure paradigmatique nous permettant d'appréhender, grâce à un jeu de miroir, la nature du pouvoir souverain. En effet aux pôles extrêmes de l'ordre juridique, le souverain et l'homo sacer présentent deux figures symétriques qui ont une même structure et qui sont en corrélation, le souverain étant celui par rapport à qui tous les hommes sont potentiellement homines sacri[11], et l'homo sacer celui par rapport à qui tous les hommes agissent en tant que souverains.[12] Cette symétrie est due au fait que tous deux sont exclus de l'ordre humain, unis par un lien en-dehors de la société. [...]
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