Dans Les Euménides, Sophocle raconte comment Athéna a inventé la Justice à l'occasion du jugement du crime d'Oreste. Pour venger son père, en effet, Oreste tue sa mère Clytemnestre et son amant, Egisthe. Poursuivi par les Erynies, Oreste se réfugie, en suppliant, dans le temple d'Apollon à Delphes et se met ainsi sous la protection du dieu.
Deux droits sont ainsi opposés et inconciliables, celui de la famille, défendu par les déesses de la vengeance, et celui de l'honneur, défendu par Apollon. Athéna ne saurit prendre position ni pour l'un ni pour l'autre. Elle ne peut, malgré son désir, défendre Oreste sans qu'une malédiction ne s'abatte sur Athènes, la ville dont elle est la protectrice (...)
[...] Mais en même temps il convient de s'interroger sur la légitimité du jugement rendu. Oui juge et de quel droit? Oui peut déterminer la gravité d'un crime, la victime ou le juge? A la lumière de ces problèmes essentiels, se pose la question: Y a-t-il des actes impardonnables? L'interrogation: Y a-t-il? nous demande de réfléchir sur une idée dont l'existence pose problème du fait même de son caractère paradoxal. Cependant, si la question se pose, c'est qu'il semble bien, qu'en un certain sens, cette existence soit possible. [...]
[...] Deux droits sont ainsi opposés et inconciliables, celui de la famille, défendu par les déesses de la vengeance, et celui de l'honneur, défendu par Apollon. Athéna ne saurait prendre position ni pour l'un ni pour l'autre. Elle ne peut, malgré son désir, défendre Oreste sans qu'une malédiction ne s'abatte sur Athènes, la ville dont elle est la protectrice. Athéna institue alors un tribunal où chaque parti fait valoir ses droits et où un vote intervient au terme de débats contradictoires. Le vote donne l'égalité des voix. Oreste est gracié. Mais le récit ne s'arrête pas en ce point. [...]
[...] Quel est le paradoxe que soulève l'expression d'actes impardonnables? La justice est égalité. La justice, quand elle est corrective, rétablirait une égalité entre la souffrance ou le préjudice subis par la victime et son substitut juridique qu'est la sanction infligée au criminel. Son exercice même, qui confirme chaque fois cette égalité, s'appuie, pour ce faire, sur un postulat: il est possible d'établir une équivalence entre l'acte commis et la punition qui répare le préjudice. Mais cette équivalence autorise la réciprocité d'un échange entre ce qui est dû et ce qu'on doit à la société à titre de réparation. [...]
[...] Il établit le récit des origines et révèle aux hommes comment les choses ont été faites pour la première fois, comment il faut désormais les faire, et précise ainsi la nature des activités les plus essentielles de l'humanité. Rendre la justice est, en ce sens, une activité essentielle. Elle protège la Cité de sa désintégration dans le règne de la vengeance sans fin. Mais l'exercice de la justice a une autre utilité, elle rend possible le pardon. Les déesses offensées renoncent cependant à la vengeance et pardonnent seulement parce que justice a été rendue. Le pardon ne s'accorde donc qu'à cette condition, et à cette seule condition l'impunité n'est pas la conséquence du pardon. [...]
[...] Y a-t-il des actes impardonnables, on le voit, est un problème dont l'enjeu est exorbitant. Il soulève la question théorique, métaphysique, de l'imputabilité. Le pardon, qui suit l'exercice de la justice, rétablit la paix sociale et d'une certaine manière la garantit. L'imprécation qu'un acte est impardonnable a toujours déjà résolu la difficile question de l'attribution du crime au coupable, de la reconnaissance de sa responsabilité et de sa culpabilité. Quant à l'enjeu pratique, il n'est pas moins énorme puisqu'il s'agit de reconnaître que certains actes excluent définitivement ceux qui les commettent de la société des hommes, de la sphère de la justice et de la possibilité de la réparation. [...]
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