Dans cet extrait de l'Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes, dont la troisième édition paraît en 1780, l'abbé Raynal réfute une à une les propositions des partisans de la traite. Après avoir mis en scène le quotidien cruel d'un armateur négrier (l1-15), la l'abbé Raynal examine successivement les 8 arguments des principaux négriers : le droit du plus fort (l15-23), le poids de l'histoire (l25-30), l'humanisation de la traite par l'adoption de codes noirs (l31-57 ; 96-100 ; 117-124), l'existence d'une humanité naturellement servile (57-76), un statut d'esclave antérieur à l'arrivée des européens (l77-93 et 100-116), le parallèle avec la misère contemporaine des paysans (125-139), l'évangélisation (140-162), le besoin de main d'œuvre servile pour les cultures coloniales (163-171). Avec éloquence et passion, l'abbé Raynal se fait donc porte parole des abolitionnistes français.
Après des études chez les Jésuites, l'abbé Raynal, ordonné prêtre en 1743, sert un temps à la paroisse Saint-Sulpice à Paris. Il quitte son ordre en 1748 et fréquente les salons philosophiques puis se tourne vers la rédaction d'ouvrages d'histoire politique. Dès 1760, il entreprend, pour répondre à une commande du ministère de la Marine, une vaste compilation sur la colonisation, que le gouvernement souhaite encourager. C'est l'Histoire philosophique et politique des établissements & du commerce des Européens dans les deux Indes (1770). Histoire globale de la civilisation, cette gigantesque entreprise, à laquelle Diderot participe, explore de nombreux domaines : les renseignements pratiques voisinent avec des réflexions philosophiques, l'éloge du commerce avec une dénonciation de l'esclavage et une mise en cause du principe même de la colonisation, avec de virulentes attaques contre le despotisme et les abus des prêtres. Le succès de cet ouvrage attire l'attention des autorités, qui l'interdisent (1772). Mais le livre est malgré tout réédité, copié et contrefait. Publiée à Genève en 1780, cette troisième édition augmentée et corrigée est aussitôt déclarée «abominable» par le Parlement de Paris. Le 21 mars 1781, l'Histoire philosophique et politique des deux Indes est condamnée à être brûlée en place publique par la main du bourreau. Menacé lui-même de prise de corps, Raynal est obligé de s'exiler, sa fuite se transformant en tournée triomphale à travers l'Europe des souverains éclairés.
[...] Elle renaîtra sans doute un jour de ses cendres. A mesure que la morale et la politique feront des progrès, l'homme recouvrera ses droits. Mais pourquoi faut-il qu'en attendant ces temps heureux, ces siècles de lumière et de prospérité, il y ait des races infortunées à qui l'on refuse jusqu'au nom consolant et honorable d'hommes libres, à qui l'on ravisse jusqu'à l'espoir de l'obtenir, malgré l'instabilité des événements ? Non, quoi qu'on en puisse dire, la condition de ces infortunés n'est pas la même que la nôtre. [...]
[...] Qu'est-ce que l'existence pour celui qui n'en a pas la propriété ? Je ne puis tuer mon esclave, mais je puis faire couler son sang goutte à goutte sous le fouet d'un bourreau ; je puis l'accabler de douleurs, de travaux, de privations ; je puis attaquer de toutes parts et miner sourdement les principes et les ressorts de sa vie ; je puis étouffer par des supplices lents le germe malheureux qu'une négresse porte dans son sein. On dirait que les lois ne protègent l'esclave contre une mort prompte que pour laisser à ma cruauté le droit de le faire mourir tous les jours. [...]
[...] Même si ceux sont les Européens qui ont déstructuré l'économie des sociétés côtières en la tournant vers la traite, il ne faut pas gommer cette réalité historique Les lumières et le mouvement abolitionniste à la fin du XVIIIe siècle 3.1 Raynal dans la tradition des Lumières _ La construction du texte, basée sur un jeu de questions et de réponses, met en œuvre de façon rigoureuse le travail de la raison pour démontrer l'horreur de la traite et l'hypocrisie des négriers avec des arguments de bon sens. _En marge de l'institution ecclésiastique, Raynal s'affirme par ses idées comme un homme de lettres et un philosophe des Lumières, comme son ami Diderot qui participe à la rédaction de l'Histoire philosophique. Les Lumières ne reprennent pas simplement des principes issus de l'humanisme de la Renaissance. [...]
[...] Cette Histoire de l'abbé Raynal impulse donc le mouvement abolitionniste français. Il est alors intéressant de voir comment ce texte peut constituer une synthèse de tous les enjeux que constitue la traite négrière pour ceux qui la pratiquent comme pour ceux qui la combattent. L'abbé Raynal peut tout d'abord être considéré somme un intellectuel dissident dans la mesure où ses prises de positions sont contraires à celles que prônent l'institution à laquelle il appartient : l'Eglise. Son audace lui permet alors de présenter un tableau complet des arguments visant à légitimer l'esclavage. [...]
[...] Il appartient à son premier maître, Dieu, dont il n'est jamais affranchi. Celui qui se vend fait avec son acquéreur un pacte illusoire, car il perd la valeur de lui-même. Au moment qu'il la touche, lui et son argent rentrent dans la possession de celui qui l'achète. Que possède celui qui a renoncé à toute possession ? Que peut avoir à soi celui qui s'est soumis à ne rien avoir ? Pas même de la vertu, pas même de l'honnêteté, pas même une volonté. [...]
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