Penser le vivant, mécanisme, finalisme, bon usage de la finalité, Kant, méthode expérimentale appliquée au vivant
Canguilhem finit de renverser les prétentions du mécanisme en montrant que lorsque celui-ci proclame se débarrasser de la finalité, en réalité il la suppose, quoiqu'il la place en un autre endroit que la tradition aristotélicienne.
Canguilhem ne refuse pas les explications mécanistes en biologie, il cherche à montrer qu'en réalité, le mécanisme et la finalité sont des modes d'explication indissociables lorsqu'il s'agit de penser le vivant, et que loin de prétendre rejeter la finalité, il faut chercher à la définir correctement, c'est-à-dire sans la réduire à un processus univoque orienté vers une fin extérieure.
[...] En ce sens, elle est propre à examiner une chose, c'est-à-dire un tout, comme présidant, à titre de représentation, à la mise en ordre de ses parties, ce qui définit la finalité. Elle est soit déterminante, lorsque l'universel est donné a priori, soit réfléchissante, si seul le particulier est donné mais que la faculté de juger doit trouver un universel pour le penser. La finalité des organismes procède de la faculté de juger réfléchissante : aucune fin ne s'impose à ces organismes a priori et de l'extérieur, mais nous avons besoin d'une idée de finalité pour le penser. [...]
[...] Que signifie alors apprécier les organismes comme fins naturelles ? Cela consiste à admettre la spontanéité des organismes (auto-organisation, autorégulation, etc.). Or, dire que les organismes se caractérisent par leur spontanéité revient à dire que leur finalité n'est pas externe (relative à un démiurge qui impose une fin), mais bien interne. En fin de compte, comme le dit Kant, une chose existe comme fin naturelle si elle est cause et effet d'elle-même C'est là le point essentiel, qui distingue la finalité du vivant de toute autre : dans le vivant, tout est à la fois cause et effet. [...]
[...] Cette formule vise en effet à montrer que la particularité d'un organisme, ce n'est pas seulement que ses parties existent pour elles-mêmes, ni les unes pour les autres. La particularité d'un organisme est que chacune de ses parties produit, fabrique les autres en produisant le tout. Un organisme est cause et effet de lui-même parce qu'il est un être organisé et s'organisant lui-même. Pour expliquer cette idée, Kant prend l'exemple de l'arbre, organisme auquel il attribue trois caractère essentiels : la reproduction, la croissance, l'autoconservation. [...]
[...] Mais c'est alors reconnaître dans le même temps toute la difficulté d'étudier le vivant, et l'affronter de face. En effet, si penser le vivant revient à affirmer en premier lieu sa spécificité, à le présenter comme un être d'expérience capable d'improvisation et d'invention –d'artifice en quelque sorte-, alors il faut bien dire que le savant, vivant-pensant selon ses propres coordonnées, ne pourra pas aisément en faire son objet. Il lui faudra redoubler d'effort pour, d'une part, croiser la route des autres vivants dans leur diversité et, d'autre part, éviter le piège d'un repliement, d'une cristallisation de la pensée sur ses principes. [...]
[...] Pour lors, il faut bien comprendre ceci : si l'expérience nous conduit à poser une finalité dans la nature, il ne faut pas assimiler cette finalité avec celle qui règle la pratique humaine, à savoir l'« utilité ou la convenance Or, c'est une telle finalité que suppose le modèle de la machine. En effet, qu'est-ce que la finalité en général ? Pour Kant, nous nommons final ce dont l'existence semble présupposer une représentation de cette même chose (CFJ, Première introduction, XX 216) ; la finalité suppose que la chose existante, dite effet de la causalité, précède et détermine, à titre de représentation, la causalité qui la porte à exister. Or, Kant rejette, pour la nature, l'idée de convenance propre à une finalité externe, dont la fin serait imposée de l'extérieur. [...]
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