Alors qu'on considère usuellement le XVIIème siècle comme le Grand Siècle Classique placé sous le double signe du dogmatisme catholique et du modèle nobiliaire, l'oeuvre de Molière permet de saisir, derrière les mythologies, une réalité historico-sociale bien plus complexe.
La comédie au programme (L'Avare) est d'ailleurs un texte tardif dans la production de l'auteur (1668) et offre un témoignage important de l'évolution de la société française vers le modèle bourgeois et "marchand" (et sa valeur référentielle : l'argent) : l'évocation toute symbolique du "naufrage" subi par Dom Thomas d'Alburcy et sa famille (V,5), le choix (pour ces nobles "à la dérive") de vivre sous des identités bourgeoises (Anselme) symbolisent cette profonde mutation des valeurs et des modes de vie (...)
[...] Ce rêve de vivre en "marquis", d'avoir du fait de sa richesse "un rang" est bien contre-nature: il présuppose l'équivalence de l'argent et du privilège du titre et de la naissance! Enfin il manque à Cléante la spontanéité de coeur d'un Valère: contrairement à "amant" de sa soeur, il n'envisage pas de s'humilier par amour, et subordonne la réussite de son union à Mariane à un train de vie que seule la richesse pécuniaire peut autoriser. 3dLes figures de la générosité nobiliaire Anselme semble, par son intervention miraculeuse au dénouement de la comédie, l'anti-Harpagon par excellence. [...]
[...] Un "topos" balisé: les modèles d'Harpagon La figure de l'"avare" n'est pas une figure nouvelle en littérature (et au théâtre). On peut même dire que Molière se réfugie dans la droite ligne d'une tradition comico-farcesque où les incarnations de l'avarice sont légions: l'Euclion de Plaute, les Séverin et autres Haloi des "jeux" médiévaux ont largement balisé une représentation "à code" de l'avarice et de l'avare; personnage insupportable, conduit aux pires excès, l'archétype de l'avare est donc condamnable et condamné (un schéma castigateur est à chaque fois retenu): pour son immoralité pécheresse, sa malhonnêteté coupable, l'avare finit par "payer"; frappé par la Justice Immanente- foudres divines- ou rattrapé par la Justice des hommes -au titre des exactions auxquelles son vice ne manque pas de l'entraîner-, l'avare et à travers lui, au-delà de sa personne particulière, l'avarice, sont ostensiblement punis. [...]
[...] S'ensuit un dialogue savoureux où le valet entend faire corroborer cette évidence du châtiment réservé aux avares à . l'avare lui-même! Harpagon, quoiqu'ayant saisi l'attaque personnelle de son valet, ne peut en même temps pas défendre un "péché" (même s'il s'en rend coupable à titre personnel, il ne veut pas se l'avouer car cela est moralement indéfendable). La Flèche réussit presque son coup audacieux: insulter impunément un maître qui, pécheur, ne peut plus qu'abusivement exercer son autorité, devenue illégitime, sur un valet l'injuriant, à juste titre! [...]
[...] Les "routines" de l'avare échappent à la logique humaine normale et sont en contradiction avec les valeurs morales et la vie sociale qui l'entourent. 2c L'amour de l'argent contre l'amour: Encore une fois, il n'est point question ici de répéter les analyses de scènes vues en cours; ce qui importe, c'est de comprendre la portée de cette confrontation, omniprésente dans l'intrigue même de l'oeuvre, entre le "désir amoureux" et le "désir d'argent". Les scènes d'exposition et surtout pose la problématique de la rencontre entre les projets d'hymens des jeunes gens (dont les enfants d'Harpagon) et le thème de l'avarice annoncé par le titre: la passion démesurée et contre-nature d'Harpagon pour l'argent fait obstacle aux amours des deux jeunes couples, les remet même en cause via une rivalité délirante (Harpagon se pose en rival de son propre fils vis à vis de Mariane). [...]
[...] Pas besoin de s'étendre sur la portée allégorique évidente de ce "nom". Cela rejoint le souci qu'a Molière de focaliser sa représentation de l'avarice, sur l'homme lui-même et non sur le péché (désincarné). L'homme est responsable moralement de ses actes et de ses choix en se centrant sur l'humain par le choix du titre de sa pièce, notre auteur semble nous indiquer deux choix majeurs: -d'une part, il entend se distinguer de son modèle plautien (centré sur l'objet du désir: "l'aululaire", petite marmite remplie d'or, trouvée par Euclion). [...]
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