"N'oubliez pas que cela fut", telle est la demande de Primo Levi adressée à ses lecteurs dans le poème d'ouverture de "Si c'est un homme". Il fait ici appel au "devoir de mémoire", à la nécessité, et ce pour toujours, de ne pas oublier "le murmure des hommes sans voix" (A. Wievorka).
La revendication mémorielle est devenue au fil du temps le mode privilégié à travers lequel le récit historique est sommé de progresser vers plus de clarté, plus de vérité : mémoires de déportés et de rescapés des camps, de résistants, de victimes, de témoins…
Tant de paroles enfin libérées ont contraint les instances politiques à réviser le récit officiel des événements traumatiques de notre temps, à rouvrir le dossier de ces périodes troublées et à réinvestir dans une réflexion plus approfondie des souffrances et des responsabilités de chacun.
L'exigence chaque jour plus affirmée par les autorités publiques d'un devoir de mémoire, la multiplication des hommages rendus, des commémorations, les efforts accomplis en vue d'une reconnaissance de dette envers certaines communautés nous obligent aujourd'hui à poser le problème de ce statut de la mémoire et de la difficulté de son articulation au discours historique, à un discours de vérité qui ne saurait se réduire à la somme de ces revendications mémorielles et communautaires.
[...] Les limites de la mémoire et les limites de la démarche scientifique historique, en perpétuelle recherche. Conclusion Face à ce déferlement de mémoire, l'historien doit chercher à comprendre le pourquoi de cet impératif mémoriel pour réussir à le dépasser. Il faut qu'il intègre à son propre questionnement, le questionnement mémoriel. Cependant, c'est bien l'histoire qui semble avoir le dernier mot, de par ses qualités et capacités de neutralité et d'objectivité. Si les acteurs font l'histoire, ce sont les historiens qui en fixent les contours, l'expliquent et en dégagent la signification pour les générations futures. [...]
[...] - On pourrait aussi dire que la mémoire relève du magique, de l'affectif, et qu'elle ne s'accommode que des informations qui la confortent. La mémoire paralysante la mémoire entre silence et culpabilité - La tradition judéo-chrétienne souviens-toi fait du devoir de mémoire un devoir de rendre justice par le souvenir à un autre que soi, elle introduit l'idée de dette et de reconnaissance envers les générations passées et les morts. Et partant, de culpabilité et de faute dont Paul Ricœur invite à se libérer par un travail de mémoire qui va au-delà du simple devoir de mémoire puisqu'il est travail sur soi. [...]
[...] Il y a une trentaine d'années, la mémoire était un peu l'histoire de ceux qui n'avaient pas eu droit à l'histoire. Une exigence de justice, une forme de libération. L'idée s'est répandue que la mémoire détient sur l'histoire un privilège qu'elle tire de la morale, une forme de vérité supérieure à celle que l'histoire n'atteindra jamais. = déferlement de la mémoire. - Chaque minorité sociale en voie d'intégration mais en perte de mémoire traditionnelle vit la récupération, la réappropriation de son passé comme intégrante de son affirmation d'identité. [...]
[...] Mais on pense aussi au silence comme façon de se souvenir et non-refus de se souvenir. Au retour de Buchenwald, j'ai tenté d'écrire cette expérience. Certains sont revenus à la vie grâce à l'écriture. Je pense à Robert Antelme et à Primo Levi. Pour moi, ce fut impossible. L'écriture me ramenait sans cesse à la mémoire de cette expérience, donc, d'une certaine façon, à la mémoire de la mort. Le choix c'était écrire ou vivre. J'ai préféré la vie. [...]
[...] - La mémoire est-elle vérité du passé, comme pourrait le laisser croire le discours commémoratif, ou bien, pour citer l'historien Pierre Laborie, la mémoire ne serait-elle pas moins présence du passé que présent du passé, l'usage fluctuant de ce passé selon les interrogations du présent ? La mémoire contre l'histoire F. Bédarida Esprit 1993 - Dans le rapport remis récemment au premier ministre par le Comité pour la mémoire de l'esclavage, on affirme qu'aucune histoire ne saurait être écrite sans prendre en compte les mémoires qu'elle suscite. L'historien ne doit pas les écarter, car elles sont un objet d'histoire. Mais son travail consiste dans leur dépassement : l'historien n'est pas un juge. L'histoire est le résultat d'un travail soumis à des procédures contraignantes. [...]
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