Nous avons vu à la séance précédente que chez Rousseau, la mort, entendue en son sens biologique, n'était qu'une cessation d'activité, cessation de la vie. L'émergence de la pensée et de l'intelligence, annonce en revanche chez lui la rupture avec la substantialité de la vie dans la dualité qui s'instaure avec la représentation entre le sujet et l'objet. La mort devient alors une préoccupation parce que le pouvoir de la représentation commence par remplir la simple cessation par une image de la mort. Dès que la mort est imaginée, elle devient une préoccupation un soucis premier. Le sujet attache une importance considérable à l'idée qu'il est (affirmation universelle) et ne supporte pas l'idée de n'être plus en tant qu'elle contredit la valeur de l'énoncé qui accompagne la formulation de la pensée. En moi, l'affirmation de l'être universel de la pensée, de son irréductibilité à un être-là particulier (caractère déterminé de tout ce qui est naturel) semble contredite par le fait que je vais mourir.
[...] Que l'absolu en soi diffère de l'égalité à soi de la pensée n'implique pas que ce rapport ne puisse être conçu. Si donc on veut proposer une réflexion qui maintienne l'affirmation libre de la pensée dans son égalité avec elle-même sans tomber dans cette alternative, il faut méditer à nouveau le rapport de la pensée à son origine dite indicible. Or le fait que la formulation par la pensée de son commencement porte en soi une contradiction initiale constitue-t-il une limite radicale pour la philosophie ? [...]
[...] Que la philosophie n'est pas vie de l'absolu se reconnaissant. Quoi qu'il en soit, c'est cette unité qui parce qu'elle est indicible constitue pour la philosophie transcendantale l'élément indépassable faisant la radicalité de notre finitude. Autrement dit, il est impossible au point de vue de la philosophie transcendantale de dépasser l'opposition initiale du Moi et du Non-Moi, si cela signifie retrouver l'unité originaire impensable du dualisme. On peut certes parvenir par la détermination de la contradiction du Moi avec le Non-Moi dans le Moi à la formulation finale d'une égalité satisfaisante, mais on ne peut remonter jusqu'au véritable principe en tant que tel impensable de leur unité, c'est- à-dire à la vie elle-même, la vie divine. [...]
[...] Conclusion : Comparaison avec la dialectique antique. Bilan. Si le fait d'examiner dialectiquement l'opinion et les points de vue contraires à celui de l'immortalité immanente de la vie philosophique (ou pensée de la pensée) est platonicien dans sa forme, la pensée du commencement introduit une différence très importante. La mort, la contrariété des points de vue trouvent leur principe dans la contingence d'une affirmation libre de l'absolu, c'est-à-dire d'une expression où l'absolu s'avère égal à soi. Montrer que l'absolu est égal à soi relève d'une véritable conquête selon le mot de Hegel. [...]
[...] Je n'accepte pas de mourir, et spontanément je me représente les choses après ma mort. Or dans cette représentation, ce que je n'arrive pas à saisir c'est précisément le fait que je ne verrai pas cela, qu'imaginer sa mort contredit l'idée même de la penser véritablement. Spontanément, dans cette disposition je m'imagine qu point de vue d'autrui sur moi-même, et cette imagination de la mort résulte directement de l'affirmation universelle de l'être dans la formule je suis L'apparition de la pensée comme affirmation universelle de l'être est donc corrélative de l'émergence d'une signification pour la mort, et de l'intériorisation du regard d'un alter ego susceptible de reconnaître l'irréductibilité de ce que je suis universellement à ce que j'ai été. [...]
[...] La philosophie énonce le discours du Moi s'égalisant idéalement avec lui-même, non le mouvement de l'absolu lui-même. Elle est irréductiblement, de par le fait de la dualité transcendantale initiale, comme telle non concevable dans une synthèse susceptible d'être énoncée, un ne pas vivre. Le rapport de la philosophie à la vie n'est pas lui-même totalisable, mais la philosophie comme savoir de la vie différencié de la vie elle-même est censée par la non-confusion des deux séries, permettre à la vie connue de ne plus être hantée par la scission que semble avoir introduite dans sa substantialité l'émergence de la pensée. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture