L'idée qu'on est une âme dans un corps est sûrement aussi ancienne qu'Homo Sapiens Sapiens : la paléoanthropologie a mis à jour bon nombre de tombes extrêmement anciennes attestant de la croyance en une vie après la mort corporelle. Par ailleurs, les religions dites primitives existant encore aujourd'hui sont en général profondément animistes : l'homme a encore spontanément tendance à croire en l'existence d'une âme dissociée du corps, de même que chacun fait l'expérience quotidienne du sentiment d'habiter son corps, d'être une entité spirituelle cohérente et unique contrôlant un corps matériel.
On comprend dès lors que la pensée, le soi, la conscience, en tant que suite continue et rapide d'opérations mentales opérées par un organe, le cerveau, perpétuellement accompagnée d'une opération parallèle qui est la conscience d'effectuer ces opérations mentales (la conscience de soi) est contre intuitive. C'est pourtant ce que l'explosion des neurosciences au XXeme siècle a tendance à appuyer.
Nous allons envisager la première partie à travers la tentative la plus célèbre pour asseoir sur des bases rationnelles que nous avons une âme distincte d'un corps, qui a été réalisée par le philosophe français René Descartes dans ses Méditations Métaphysiques, pour ensuite nous intéresser aux réponses qu'ont fait de nos jours les neurobiologistes et par là le nouveau modèle de la perception de soi qui tend à s'imposer.
[...] Mais moi, qui suis-je, maintenant que je suppose qu'il y a quelqu'un qui est extrêmement puissant et, si je l'ose dire, malicieux et rusé, qui emploie toutes ses forces et toute son industrie à me tromper ? Puis-je m'assurer d'avoir la moindre de toutes les choses que j'ai attribuées ci- dessus à la nature corporelle ? Je m'arrête à y penser avec attention, je passe et repasse toutes ces choses en mon esprit, et je n'en rencontre aucune que je puisse dire être en moi. Il n'est pas besoin que je m'arrête à les dénombrer. Passons donc aux attributs de l'âme, et voyons s'il y en a quelques-uns qui soient en moi. [...]
[...] Pour le philosophe, tout ce qui est matériel est mesurable, donc le corps est matériel, alors que l'âme elle n'est pas mesurable, elle est donc immatérielle. Pour Descartes, au contraire de l'animal, l'homme est capable de ressentir des émotions (qui sont les effets d'un état du corps sur l'âme) et il est capable d'opérations mentales supérieures (les opérations mathématiques par exemple, qui sont le fait de l'âme seule). Plusieurs critiques ont été formulées à l'encontre de Descartes, et ces critiques trouvent leur appui notamment sur le développement conséquent des neurosciences au XXe siècle. [...]
[...] Il pose le fameux je suis, j'existe et affirme qu'il existe tant qu'il pense, que c'est parce qu'il pense qu'il existe pour en déduire qu'il est une chose qui pense. On voit ici qu'il réifie instantanément l'âme, qui n'est plus un vague souffle diffus, mais bien une chose immatérielle qui pense. Il la sépare du corps en affirmant qu'il n'est rien de plus que cet esprit, puisqu'il a imaginé que tout le reste n'existait pas et n'était que le fruit d'un esprit malin qui l'induirait en erreur. Pourtant, il reste qu'il existe, il est donc une chose qui pense. [...]
[...] Même une opération en apparence aussi simple que la perception visuelle mobilise en réalité un ensemble hétérogène de zones cérébrales fonctionnant en simultané. Ce qui se présente à la conscience comme une faculté est en réalité sous-tendu par plusieurs modules travaillant conjointement : une maladie par exemple, fait que les malades atteints ont du mal à reconnaître les animaux (agnosie visuelle des animaux). Concernant la conscience elle- même, les travaux d'Antonio Damasio, neurologue américain, dans son ouvrage L'erreur de Descartes, montrent qu'elle peut elle-même être perturbée ou semble-t-il effacée, sans pour autant que le sujet meure. [...]
[...] Enfin, il est intéressant d'évoquer La Mettrie, disciple hérétique de Descartes et précurseur de ce que va exposer l'informatique, avec sa théorie de l'homme-machine : l'esprit n'est que le reflet du fonctionnement machinal de son cerveau. C'est là comme on vient de le voir,la théorie étayée par les neurosciences, critiquant la position spiritualiste qui ferait de l'homme un fantôme dans une machine selon le philosophe G.Ryle, mais aussi par l'informatique, où des machines produisent l'équivalent d'opérations mentales très élaborées. L'informatique a banalisé l'idée selon laquelle un support matériel peut sous-tendre des opérations mentales très complexes. [...]
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