Crise de la modernité, faillite du sujet, philosophie du doute, antihumanisme, tradition antimarxiste, illusion de la liberté, Michel Foucault, Dumézil, hypothèses de Koyré, Jacques Derrida, Gilles Deleuze
Le tournant linguistique a orienté la pensée des sciences humaines dans un sens antihumaniste : refus de la philosophie de la conscience qui avait dominé (depuis les travaux de Jean-Paul Sartre). On a affaire à une philosophie du doute, qui cherche ce qui est latent derrière ce qui est explicite, ce qui est structurel derrière ce qui est évident : leçon de Barthes à cet égard (qui dénonce l'"idéologie" petite-bourgeoise dans Mythologies, 1957).
[...] Dans la lignée de Heidegger, Derrida critique le logocentrisme de la pensée occidentale (depuis la philosophie grecque), et il reproche au structuralisme de demeurer trop étroitement attaché à la question du signe — ce qui ne lui permet pas de quitter cette tradition, centrée sur le langage. Renonçant à renverser les positions traditionnelles de la métaphysique (ce qui aboutirait, selon lui, à revenir à une métaphysique du logos), il relit avec attention l'œuvre de Husserl (La Voix et le Phénomène, 1967), pour montrer que, même si ce dernier cherche à saisir le jaillissement de la pensée pure — au plus près du phénomène —, il ne peut pas faire l'économie d'une médiation par les signes. [...]
[...] Tout un ensemble de références qui font « signe » dans les discours dominants de la « postmodernité » : Freud, Lacan, Foucault, Nietzsche, avec, au loin, l'ombre de Heidegger. Derrida a été contesté aux États-Unis par les philosophes issus de la tradition analytique, comme John Searle (disciple d'Austin, Quand dire c'est faire, 1955). A dû faire face aussi aux critiques adressées à la pensée de Heidegger et aux liens qu'elle entretient avec le nazisme ; la « déconstruction » a aussi subi indirectement une crise quand son principal représentant américain, Paul de Man, a été, après sa mort, accusé d'avoir collaboré avec l'occupant allemand durant la Seconde Guerre mondiale : Derrida, par amitié, a répondu à ses accusations en 1988 — ce qui a rendu sa position délicate, du point de vue des critiques nord-américaines. [...]
[...] C'est la raison pour laquelle son œuvre est atypique : elle est activité avant tout — par l'enseignement, par l'écriture des livres, très nombreux qu'il publia constamment. Son premier travail porta sur le philosophe anglais Hume (Empirisme et subjectivité, 1953), et il consacra une longue période à la relecture des œuvres majeures de la philosophie moderne : Spinoza (Spinoza ou le problème de l'expression, 1968), Nietzsche (Nietzsche et la philosophie, 1969), Kant (La philosophie critique de Kant, 1969), Bergson (Le Bergsonisme, 1964). Sa thèse (1968) portait sur Différence et répétition (publiée en 1969), qui critiquent l'« erreur » de la tradition philosophique, selon lui : la représentation. [...]
[...] Sa thèse sur la folie a mis en valeur la fonction du « fou » dans la société d'Ancien Régime, avant son entrée en « psychiatrie », c'est-à-dire sa médicalisation au XIXe siècle. Il met en évidence les rapports entre savoir et pouvoir (le savoir détermine le pouvoir . ) : cela est évident dans les Mots et les Choses, qui met en valeur le changement des modèles de pensée, au prix de plusieurs ruptures entre le XVIe et le XVIIIe siècle (on passe de la Renaissance à l'âge classique — époque où domine la « représentation » — puis aux Lumières — où domine la promotion du « sujet ». [...]
[...] Sa conception du « dressage » du corps a orienté, de façon non concertée, les études d'histoire vers ce genre d'enjeu (voir les travaux de Vigarello . ) ; lieu commun de la pensée « sociologique » depuis le panoptique de Bentham . Comme le note Delacampagne, ce livre est devenu le « bréviaire d'un nouveau gauchisme », notamment aux États-Unis, « axé sur la critique de toute forme d'autorité ». L'influence de Michel Foucault demeure aujourd'hui étroitement liée à l'effet produit sur la pensée anglo-saxonne, et notamment américaine, durant les années 70. II. [...]
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