C'est la définition aristotélicienne de l'homme comme « animal raisonnable » (mieux, rationnel, pourvu de ce « Logos » qui constitue la racine grecque du mot« Logique ») qui sous-tend la conception naturaliste de Spinoza, tout comme elle sous-tendait déjà celle des Stoïciens -disciples radicalisés d'Aristote.
Pour ces derniers, la soi-disant « liberté du vouloir » ne faisait, au mieux, qu'éclairer les « causes » du désir, ceci dans une conception globalement « déterministe » ou plutôt « nécessitariste » où tout s'enchaîne, dans la Nature, selon la « loi des causes et des effets », en sorte que rien n'advient qui ne soit nécessaire : perspective qui rend le Désir entièrement contingent, et, au fond, indésirable (« changer nos désirs plutôt que l'ordre du monde » en conclura Descartes).
De même, pour Spinoza, le Désir constituant l' « essence de l'homme » -comme élément particulier de la Nature- la Raison n'a pour « finalité » réelle que d'en éclairer les causes ?en les détachant de leurs objets « imaginaires » et en les rattachant elles-mêmes à « l'ordre et connexion des choses » (ce même enchaînement universel des causes et des effets) que doit refléter, en dernière instance, l' « ordre et la connexion des idées » (Ethique, II, 7).
La conception « naturaliste » commune aux Stoïciens et Spinoza est donc équivoque : le Désir, force naturelle voire instinctive (« appetitus ») est à la fois le moteur principal de nos actions (où il convient de dissocier, en les analysant, ainsi qu'y insistera Hume comme nous l'avons vu ?mais c'est à la suite du rationaliste Spinoza, la « cause » de l' «objet ») ; mais aussi, en tant que désir d'un être « raisonnable » (sinon « rationnel » ou « logique »), le lieu d'une nécessaire « éducation » qui n'est pas sans évoquer le platonisme et la sortie éventuelle, par l'humanité, de la « caverne » du « monde sensible », monde des ombres et des « Désirs ». Anciens platoniciens ou Stoïciens, « modernes » rationalistes ou empiristes, sont tous en accord sur cette « malédiction » d'un Désir pourtant « naturel » ou du moins « spontanément sensible ». (...)
[...] ) à la façon d'Epicure dans sa Lettre à Ménécée. Curieusement, aucun Ancien ne mentionne de désir nécessaire, mais non naturel ce qui s'explique par la coïncidence, dans cette mentalité (et ce, même pour ceux des penseurs, qui, comme les Epicuriens, admettent hasard et contingence) de la Nature et de la Nécessité. Nous avons vu pourtant, avec Hegel, que le désir-du-désir constitue au moins une nécessité conditionnelle pour l'émergence de l'être humain et de son Histoire, ensemble des désirs désirés Il nous reste à voir par quels chemins Le Désir en soi et pour soi source du Travail et de l'Histoire. [...]
[...] L'approche de sens commun n'est pas en contradiction avec l'approche psychanalytique qui en est la description fidèle (jointe à une explication plus paradoxale voire, en ses fondements, métapsychologique Le sens commun, en effet, plus ou moins spontanément platonicien traduit la notion de désir par celle de manque ou de relation à un objet manquant (sans se rendre compte qu'un tel objet n'est, initialement, que celui du besoin, et que cette lecture du désir en ferait une donnée organique –thèse contre laquelle s'inscrit en faux le Platon du Philèbe posant comme on l'a vu qu' il n'y a pas de désir corporel Etant, en même temps, la proie des passions -en particulier de la passion amoureuse, le sens commun n'hésite pas à faire de l'objet aimé (qui est en fait une personne, un partenaire, un Sujet) le complément naturel du Désir : ainsi surgit le Mythe amoureux universel de l' âme- sœur ou de la moitié d'orange popularisé par l'Aristophane du Banquet auquel nous faisions allusion plus haut. Aristophane, dans son Discours, superpose différence sexuelle (organique) mythe désirant de la Différence pure (physique ou psychique, une place étant réservée à l'homosexualité de chacun des sexes naturels et thème amoureux (l'objet du Banquet). [...]
[...] ) n'existant pas dans la nature qu'il se détache du besoin Ainsi, la formule le désir de l'homme, c'est le désir de l'Autre peut encore, et enfin, s'entendre ainsi : -ce que nous croyons illusoirement être notre désir est très généralement constitué de l'ensemble des représentations qui sont déjà socialement investies (images de richesse, de bonheur de réussite ou effets de mode et de publicité). Il n'est peut-être pas de meilleure illustration de cette situation qu'on pourrait dire tragi- comique que le paradoxe de Keynes : Dans un jury réuni pour élire une Miss quelconque (Miss France, Miss Monde . ) chaque membre tend à voter, non pour la fille qu'il pense être la plus belle mais pour celle dont il pense que les autres membres le penseront. [...]
[...] - y ont également leur source et leur support. C'est pourquoi, sans doute, Lacan utilisera, pour désigner l'objet du désir (ou du fantasme), le même sigle que Marx caractérisant la plus-value (c'est-à-dire la valeur additionnelle créée par le travail, aliéné selon lui -du fait de l' exploitation de l'homme par l'homme- au désir de l'autre qui se l'approprie abusivement), et ce en se référant explicitement à ce dernier. Ainsi, pour le psychanalyste français lecteur de Kojève) la formule le désir de l'homme est le désir de l'Autre peut encore, et enfin, s'entendre ainsi : -ce que nous croyons être notre désir est, très généralement, fonction des valeurs (matérielles, financières, symboliques) que nous supposons déjà reconnues comme telles par le corps social dans lequel nous évoluons, et qui dépendent elles-mêmes du travail humain et de l'histoire. [...]
[...] le mot appétence et Désirer –c'est-à-dire, vivre un besoin, instinct ou tendance de manière réfléchie) sont donc, également, une seule et même chose, en sorte que seule cette réflexivité de la conscience distinguera l'homme de l'animal. Spinoza aurait même pu nommer plus proprement instinct la tendance (ou Appétit) rapportée, par l'imagination, seulement au corps : ainsi, le Désir aurait constitué l'unité réelle de la Volonté et de l'Instinct (qui seraient, comme telles) deux abstractions) aussi bien que l'état conscient de la tendance ou appétit, leur racine commune dans l'être individuel Le Désir et la Raison : des Stoïciens au rationalisme généralisé. [...]
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