« De pareils instants, d'un seul mot prononcé en temps opportun dépend parfois toute une vie, mais les gens ne savent rien et ils s'écrasent les uns les autres – parfois au nom des idéaux – dans le marais de la réalité distordue, déformée par un filet de faux concepts jeté sur elle. La réalité laisse échapper sa quintessence sous l'influence des concepts. Mais c'est de la qualité de ceux-ci que dépend le fait qu'elle sera un poison ou la plus nutritive des vitamines. »
Stanislas Ignacy Witkiewicz, L'Inassouvissement, 1970
Réalité. C'est ce mot plus que tout autre qui importe au lecteur. Distordue, déformée, victime de tant de démagogies, comment arracher à cette éternelle incomprise ses secrets les plus intimes, les antidotes de notre inquiétude sempiternelle ? Comment disséquer sa quintessence pour mieux comprendre notre existence ?
Ces questions fondent en elles-mêmes une science : l'épistémologie. Tout comme la physique répond aux quoi ? De l'homme, que la philosophie répond à ses pourquoi ? L'épistémologie se propose de répondre à son comment savoir ?
Elle a donc pour rôle l'étude des sciences, leur critique, leur remise en question. Elle constitue en quelque sorte leur conscience, leur indice de performance. Et quand la question de la réalité se pose, quand le penseur met les modalités, l'essence du réel en examen, quand il s'engage dans un tel raisonnement philosophique et qu'il remarque tout comme Witkiewicz le fait qu'un seul mot peut ébranler toute sa démarche, alors il s'arrête et regarde la voie qu'il a emprunté. Et que voit-il si ce ne sont les concepts qui jalonnent son chemin ? Les idées que son temps lui a prêtées. Alors, contemplant son ouvrage, il comprend que la raison n'est autre qu'un passage, vers le concept, en partant de la notion.
Et pour un être qui pense que c'est l'histoire qui crée l'homme, pour un Marx qui a refusé d'user des codes qu'on lui a laissé, vu que « ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, [que] c'est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience » (L'Idéologie Allemande), pour une personne qui s'oppose à l'individualisme méthodologique et pour qui donc les concepts de son époque sont peu signifiants, quelle pourrait être sa démarche pour traduire sa pensée ? Comment l'homme qui demande aux « classes dirigeantes [de trembler] devant l'éventualité d'une révolution communiste [vu que] les prolétaires n'ont rien à perdre que leurs chaînes », comment cet homme qui par un seul mot (révolution) met en place une prophétie autoréalisatrice procède-t-il pour fonder ses théories ? Comment comprend-il la quintessence de la réalité, cet amas de notions, pour en faire ressortir le filet de concepts qui sous-tend son entendement ?
Pour mieux comprendre la différence entre concept de notion et notion de concept chez Marx, il s'agira d'examiner comment il utilise chacun de ces outils épistémologiques, mais surtout, il faudra comprendre la divergence qui existe entre eux. En effet, dans la première partie, on exposera l'apport de la notion dans le raisonnement marxien, dans la deuxième, celui du concept et marquera la distinction à faire entre ces deux instruments. Tout en les présentant, on examinera leur interaction dans la pensée marxienne, pour mettre en évidence leur utilité dans la formalisation de la raison. Dans la troisième partie, on présentera la primauté de la conceptualisation au sein de l'innovation dont fait preuve la raison du philosophe allemand.
[...] Cela signifie que la notion évolue dans le temps, alors que le concept ne le fait pas. Marx, lui, comme tout autre théoricien et philosophe, use de son esprit critique face aux grandes questions de son époque et plus précisément face à la problématique capitaliste. Pour ce faire, Il met en avant un certain nombre de concepts résultants de différentes notions pour arriver au terme de son développement : la critique de l'économie politique et le questionnement conséquent de l'individualisme méthodologique. Dans son raisonnement, la distinction entre notion et concept est très claire. [...]
[...] On note toutefois que c'est la conceptualisation qui prend le dessus dans ce contexte car c'est elle qui représente la plus-value apportée par le penseur, la clé de son innovation. En effet, les concepts sont la partie fixe, sûre, invariable du raisonnement à l'opposé des notions qui sont toujours changeantes. En fait, pour un philosophe donné, c'est les concepts, bien plus que les notions, qui permettront de saisir la réalité. Et c'est de la qualité de ceux-ci que dépend le fait qu'elle sera un poison ou la plus nutritive des vitamines. [...]
[...] C'est sans doute pour cela que malgré le changement de la vision des hommes vis-à-vis du travail, malgré la révolution marginaliste de toute valeur-travail, l'exploitation au sens de Marx tout autant que la définition tripartite de la marchandise se tiennent toujours. C'est pour cela qu'on parle de notion de concept. C'est une formule invariable qui s'adapte à son temps et intègre ses modifications. Ainsi, la notion perçoit et le concept analyse. Ces deux instruments représentent donc deux niveaux de précision en quelque sorte, deux étapes de rationalisation. [...]
[...] Marx répond à la définition même de la notion, diamétralement opposée aux vérités immuables et définit le travail par une dichotomie. Pour lui le travail est concret et abstrait. Le premier donne lieu à la valeur d'usage, le second à la valeur d'échange. Marx aurait pu justifier sa remise en question des bases de l'économie politique en disant que l'époque de Ricardo n'est pas la sienne. Ayant noté que les classiques conçoivent le capitalisme comme une fatalité, Marx ne le fera pas et se suffira de renverser toute leur création. [...]
[...] Et que voit-il si ce ne sont les concepts qui jalonnent son chemin ? Les idées que son temps lui a prêtées. Alors, contemplant son ouvrage, il comprend que la raison n'est autre qu'un passage, vers le concept, en partant de la notion. Et pour un être qui pense que c'est l'histoire qui crée l'homme, pour un Marx qui a refusé d'user des codes qu'on lui a laissé, vu que ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, [que] c'est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience (L'Idéologie Allemande), pour une personne qui s'oppose à l'individualisme méthodologique et pour qui donc les concepts de son époque sont peu signifiants, quelle pourrait être sa démarche pour traduire sa pensée ? [...]
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