Tout d'abord, les autres m'apportent pour me connaître des points de repère objectifs décisifs. En effet, si je veux tenter de porter par exemple un jugement sur ma vie, il est évident que le jugement d'autrui peut être fécond. Ce jugement me renvoie en effet à mon enfance, à mon passé, à mon devenir objectif que je peux occulter plus ou moins pour différentes raisons. Autrui peut m'en apprendre plus sur mes années écoulées que des années de ressassement solipsistes [le solipsisme consiste à ne se référer qu'à soi-même et à écarter toute relation à autrui]. En somme, grâce aux autres, je peux éviter une vision exclusivement subjective de moi-même, c'est-à-dire une perspective unilatérale et bornée.
[...] Autrement dit, dans notre société du spectacle, ce qui importe, ce n'est pas la recherche du sens, mais c'est de se déterminer et de se situer, d'être quelque chose pour soi-même en fonction de signes, à tel point que ce ne sont plus seulement les choses, mais autrui qui devient signe pour moi. Nous ne sommes donc plus qu'à la surface de nous-même, en quête et égarés dans des systèmes de signes. Autrement dit, dans notre société, la question n'est plus quel est le sens de ma vie ? mais que dois-je faire moi-même pour être signifiant, pour signifier ? La sociologie, qui est l'étude des systèmes de signes, nous apprend précisément que la relation à autrui est déterminée par de tels systèmes. [...]
[...] Ici, les autres ne m'aident pas à me connaître ; ils représentent au contraire un obstacle dans la saisir claire de soi-même. Ils sont pour moi l'anonymat, con consensuel, la dictature du on Il faut donc reconquérir son pour-soi, comme dirait Sartre [nous n'empruntons à Sartre que l'expression de pour-soi qui est synonyme chez lui de conscience], et une véritable conversion s'impose. Seul celui qui échappe à la dictature du on qui se déprend de la fallacieuse aide d'autrui peut se retrouver et se connaître, en un regard enfin authentique où le moi est mis en présence de lui-même et de sa véritable essence. [...]
[...] Autrement dit, autrui m'aide à me connaître comme être structuré dans le temps. Dans Logique du sens, Deleuze [philosophe français contemporain] dit qu' en l'absence d'autrui, la conscience et son objet ne font plus qu'un ; autrui n'étant pas là, la conscience coïncide avec l'objet dans un éternel présent Ainsi, en l'absence d'autrui, les journées se superposent dans la mémoire, sans temporalité véritable. Par conséquent, sans autrui, si je ne possède pas la temporalité, je ne puis me connaître, car il n'est pas de moi sans temporalité : je ne suis rien sans le temps, car j'existe d'abord, comme nous le montre Bergson comme durée c. [...]
[...] Parce que je ne puis accéder à mon être propre que dans le monde, je ne puis me connaître que grâce à l'aide des autres, même si ma subjectivité est humiliée au sein de cette interrelation nécessaire. Les autres sont les créateurs authentiques d'une part de moi-même, ils sont l'organe de ma création, et donc par là me permettent de me connaître si l'on entend ici par connaître le fait de s'engager dans une praxis, dans un agir. [...]
[...] Ce n'est pas dans je ne sais quelle retraite que nous nous découvrirons : c'est sur la route, dans la ville, au milieu de la foule, chose parmi les choses, homme parmi les hommes J'existe, par conséquent, comme réalité immergée dans le monde [contrairement à Descartes], comme animal social et politique comme le dit fort bien Aristote. Les autres représentent, pour moi, la forme nécessaire de toute mon existence et de toute mon essence [contrairement à Kierkegaard dans le cours sur l'existence]. Pourquoi dès lors les autres nous aident- ils à nous connaître ? [...]
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