La beauté semble n'avoir rien de mystérieux de prime abord, tant elle est familière, si présente autour de nous, et jouant un si grand rôle dans la vie et les désirs des êtres humains. Il n'y a apparemment rien en elle qui réponde au sens étymologique du mystère, ce qui est caché et secret, comme les cérémonies religieuses de l'Antiquité grecque, car elle est au contraire ce qui se donne à voir, ce qui est manifeste et saute littéralement aux yeux.
[...] Pourtant le mystère reste entier, tant U tient à une multiplicité de raisons : impossible à définir tant ses propriétés sont contradictoires, impossible à situer du fait de l'irréductibilité des objets susceptibles de beauté, la beauté semble même exister par-delà le bien et le mal. Certes, l'idée même d'une beauté du mal nous offusque, bien que nous devions en constater la réalité. C'est donc non pas sur le plan de l'être, mais sur celui du devoir-être que nous pouvons surmonter le mystère de la beauté. Nous devons croire, même si nous ne pouvons le comprendre, qu'elle reste mystérieusement liée, en un sens qui nous échappe, au Bien intelligible : la Beauté n'est-elle pas un beau risque à courir? [...]
[...] Quant à l'excellence de l'exécution, elle ne suffit pas à constituer la beauté d'une œuvre d'art : on peut reconnaître dans certaines productions beaucoup de talent, de technique, d'habileté, et aucune valeur esthétique. À l'inverse, certains peintres peuvent revendiquer une naïveté, un primitivisme, une maladresse apparente. Cependant, ce mystère ne pourrait-û pas être en partie résolu, si l'on considère que ce qui fait la valeur d'une œuvre d'art, ce sont les sentiments qu'elle suscite en nous ? Une création sans impact émotionnel serait également sans intérêt. [...]
[...] On pourrait dire qu'il s'agit ici d'un détournement légitime, la beauté en elle-même restant profondément liée à l'idée du bien. Mais si c'était le cas, si elle tirait sa puissance du fait qu'elle est le signe du bien, un tel détournement ne serait pas possible : U faut bien, pour que la beauté puisse être mise au service du mal, qu'elle soit une puissance en elle-même, indifférente au fond à la question morale, et si efficace qu'elle puisse parfois aveugler, puisque nous pouvons la préférer au bien. [...]
[...] Bien évidemment de l'amour. Or qu'est-ce qui suscite l'amour, si ce n'est la beauté? Le chevalier des Grieux continue envers et contre tout d'aimer Manon Lescaut, bien que les expériences de la vie fassent clairement apparaître qu'elle est dépourvue de toute qualité d'âme, se révélant volage, infidèle, menteuse, traîtresse. Pourquoi l'aime-t-il toujours et malgré tout? Parce qu'elle est belle, bien évidemment. Et lorsque notre désir, à défaut de grand amour, s'étend à d'autres objets, que ce soit voiture, maison ou vêtement, c'est toujours parce qu'ils sont beaux que nous les désirons. [...]
[...] Le plaisir de la beauté est donc un plaisir qui ne provient en vérité d'aucun des cinq sens. Nous pouvons toujours baptiser sens du goût cet étrange sixième sens qu'est le sens de la beauté, mais ce n'est là que recouvrir vainement de quelques mots un mystère. De surcroît, le mystère s'opacifie lorsque l'on relève, comme le fait Kant, le caractère à la fois subjectif et objectif de la beauté. Devant une chose que nous trouvons belle, que ce soit un paysage, une femme, un tableau ou une musique, nous disons : c'est beau comme si la beauté appartenait intrinsèquement à la chose, devait être reconnue par tous les humains, et pouvoir être érigée en vérité objective et universelle. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture