Leibniz, amour, nature humaine, plaisir, morale humaine
Antiochus, soupirant infortuné de la reine Bérénice, se lamente lorsqu'il la croit sur le point d'épouser l'empereur Titus. Au terme d'une longue tirade, il envisage de lui faire ses adieux « après [s'] être longtemps flatté que [son] rival / Trouverait à ses voeux quelque obstacle fatal ». Bref, il a espéré le désespoir de celle qu'il aime, et se désespère à présent de son bonheur.
Chez Racine, Antiochus apparaît comme un modèle de constance amoureuse. Pourtant, peut-on vraiment souscrire à une définition de l'amour qui implique qu'on s'attriste du bonheur de l'être aimé ? Ne doit-on pas, au contraire, rechercher ce dernier quoiqu'il arrive, quitte à se sacrifier soi-même ?
[...] La dichotomie entre l'amour qui recherche le bien de l'aimé « pour lui-même et parce qu'il nous plaît lui-même » (ligne 14) et l'amour intéressé qui poursuit un « avantage », marquée par l'adversatif « mais », synthétise la double définition, positive et négative, de l'amour, que le philosophe a développée dans la première partie de son raisonnement. Enfin, le verbe « plaire » (ligne 14) reprend la notion de « plaisir », et se voit à nouveau associé au bonheur de l'aimé. En somme, Leibniz déploie la définition qui a donnée de l'amour, et la confronte à une représentation de la nature humaine, mettant ainsi en tension la notion d'amour désintéressée avec l'idée d'une humanité intrinsèquement intéressée. La conjonction « cependant » (ligne 13) ainsi que l'adjectif « incompatibles » (ligne 11) souligne ce paradoxe et met ainsi en tension la démonstration. [...]
[...] Le paradoxe amoureux Les deux prémisses de cette aporie ne sont pas argumentées par Leibniz, qui les pose comme des axiomes, et même comme des « vérités » (ligne 11). La première, qui suppose une nature humaine nécessairement tournée vers la satisfaction de ses intérêts (« nous faisons tout pour notre bien », lignes 11-12), pourrait renvoyer aux théories du contrat. Ces dernières postulent que les organisations humaines sont régies d'abord par la défense des intérêts individuels. Les signataires du contrat acceptent de renoncer à une part de leur souveraineté en échange de la protection de ces intérêts, la constitution d'une collectivité n'étant qu'une conséquence subsidiaire de cette recherche avant tout individuelle. [...]
[...] Cette action prend deux formes : celle de l'agir pur (l' « acte ») et celle de la posture intellectuelle tournée vers l'agir mais non encore agissante (l' « état actif de l'âme »). Ce groupe nominal d' « état actif » suppose une alliance de l'être et de l'agir, de la nature statique et de la finalité en mouvement. La nature même de l'amour est donc consubstantielle à sa fonction, dans la mesure où l'amour se définit comme un moteur de l'agir. Telle est d'ailleurs la seconde modalité définitionnelle mobilisée par Leibniz. D'autre part en effet, l'amour est caractérisé par sa fin : l'amour vise le « plaisir » qu'il trouve dans « la félicité ou satisfaction d'autrui ». [...]
[...] Après avoir ainsi défini positivement l'amour comme « désintéressé » (ligne Leibniz en donne une définition négative, en l'opposant aux « liaisons d'intérêt ou de débauche » (ligne 3). Ces deux groupes nominaux sont développés par la suite : la liaison d'intérêt recherche « son propre profit » (ligne tandis que la liaison de débauche recherche « un plaisir » (ligne 4). On peut d'abord s'étonner de voir la recherche de « plaisir » assimilée à la débauche et condamnée par Leibniz, alors que sa définition de l'amour désintéressé reposait également sur le plaisir. [...]
[...] La liaison d'intérêt et la liaison de débauche ont donc ceci en commun qu'elles visent un but extérieur à la personne aimée elle-même, c'est pourquoi on peut les qualifier d'« intéressées », là où l'amour désintéressé n'a pas de finalité extérieure à la personne aimée (lignes 4-5). Dès lors, l'amour véritable se distingue d'autres types de liaison intimes entre individu en tant qu'il vise nécessairement un but consubstantiel à l'aimé. Les groupes prépositionnels « en elle-même » (ligne « par lui-même » (ligne et « pour lui-même » (ligne dessinent du plaisir amoureux une définition qui se rapproche de la substance hégélienne, laquelle consiste de fait en l'alliance d'un « en soi », d'un « par soi » et d'un « pour soi ». [...]
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