De nos jours, en tendant l'oreille, on peut aisément entendre dénigrer la philosophie par des personnes développant une argumentation autour de sa soi-disant inutilité. Cette inutilité reposerait sur le fait que la discipline du sage apparaît comme au profane comme non fondée, elle ne repose pas sur des faits matériels ou ne se base pas sur des preuves concrètes comme le feraient les sciences dures. Mais, face à la majorité qui considère la philosophie comme dédaignable puisqu'incertaine, Bertrand Russel soutient la thèse inverse. En effet, dans ses Problèmes de philosophie, l'auteur semble vouloir redorer le blason de la discipline. Dans cet extrait plus précisément, il nous invite à nous demander si l'incertitude en philosophie est un défaut qu'elle essaierait de surmonter ou si cette incertitude ne constituerait pas sa valeur. Pour Russel en l'occurrence, l'incertitude de la philosophie est ce qui fait en grande partie sa richesse. Pour comprendre comment le philosophe soutient cette thèse, nous étudierons cet extrait de manière linéaire, en commençant dans un premier temps par voir la situation de l'individu non philosophe (l.1-5), puis nous nous pencherons sur les apports de la philosophie (l.6-9) avant de terminer en expliquant l'importance du doute libérateur (l.9-15).
Dans une première partie, nous nous intéresserons donc à la façon dont vit l'individu qui n'a que faire de la philosophie.
Tout d'abord, Russel profite de la première phrase de ce texte pour exposer sa thèse, a priori paradoxale, selon laquelle "La valeur de la philosophie doit être cherchée pour une bonne part dans son incertitude même" (l.1). C'est une attitude quelque peu provocatrice qu'emploie ici le philosophe, en valorisant l'attitude de recherche de la vérité et donc le scepticisme quant à notre savoir. En effet, la tendance de la société est plutôt au dogmatisme puisque les gens s'intéressant au résultat, à la vérité et non au processus qui y amène.
Pour appuyer sa thèse, Russel prend l'exemple du profane qui selon lui "traverse l'existence" (l.2). Cette expression porte en creux l'idée de transparence, il semble que tout glisse sur le non initié, et qu'il aille du début à la fin de sa vie tel un cheval portant des oeillères, ne voyant pas ce qui l'entoure réellement, absolument borné. Celui qui ne philosophe pas est rendu esclave par différents éléments (...)
[...] Le rôle du philosophe, tout comme du poète, est donc d'ouvrir les yeux à l'homme sur le monde qui l'entoure. Ponge dans ses poèmes en prose invitera ainsi le lecteur à apprendre à voir sous un nouvel angle une bicyclette ou encore du pain. La philosophie nous apprend à jeter un nouveau regard sur notre quotidien, regard détaché des préjugés et autres apports culturels que nous acquérons au fil de notre existence. Nous pouvons ainsi apprendre à voir les choses pour elles-mêmes, dans leur individualité propre et non dans un rapport d'objet à sujet. [...]
[...] Mais une réflexion philosophique peut s'imposer et l'exemple parfait d'analyse intellectualiste se trouve dans la perception d'un cube. Comment est-ce que je sais qu'il s'agit d'un cube? Un cube, c'est un volume à six faces. Or, je n'en vois jamais les six faces à la fois. Qu'est-ce qui m'amène à affirmer que c'est un cube? Il ne s'agit en réalité que d'une hypothèse : je juge que c'est un cube, en fonction de mes expériences passées, de mes rencontres avec cette figure ! [...]
[...] Dans l'exemple pris par Russel du pays la croyance vient de données ancrées dans le patrimoine culturel. Or cela supposerait que la vérité change en fonction des époques et des lieux. Cette idée est bien entendu particulièrement dangereuse, on ne peut se permettre de verser dans le relativisme culturel ou l'ethnocentrisme, en jugeant les autres à l'aune de sa propre culture. Si la vérité est universelle, il faut se méfier de ce que notre culture nous inculque. En ce qui concerne les croyances liées au temps elles sont dangereuses en ce qu'elles sont réductrices. [...]
[...] Ainsi le non philosophe ne se questionnera pas sur ce phénomène naturel, évident pour lui. Dans un premier temps, nous avons donc pu voir que la personne qui se refuse à la philosophie s'enferme dans un monde d'apparences et de possibles mensonges puisqu'elle ne souhaite pas remettre en question ses soi disant acquis sur le monde. Il conviendra à présent de nous intéresser à l'attitude de la personne qui s'adonne à la philosophie. Premièrement, c'est un contre exemple que prend Russel : Dès que nous commençons à philosopher, au contraire, nous trouvons que même les choses les plus ordinaires de la vie quotidienne conduisent à des problèmes (l.7-8). [...]
[...] En conclusion, dans ce texte tiré de ses Problèmes de philosophie, Bertrand Russel cherche à réhabiliter la philosophie. A ceux qui estiment que l'incertitude philosophique est un défaut en ce qu'elle ne permet que de discourir et pas d'arriver à une solution, Russel démontre qu'ils ont tort. L'incertitude de la philosophie constitue en fait en grande partie sa valeur. Ainsi le profane, l'homme qui ne veut pas entendre parler de philosophie, se laissera guider par les croyances populaires, par les préjugés culturels dans lesquels il baigne depuis toujours. [...]
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